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LE LIEU

équivalent au lieu qui périt ; au point de vue de l’équivalence, on peut dire que le lieu est incorruptible.

Selon cette théorie, lorsqu’un corps se meut de mouvement local en chassant devant lui le corps dont il prend la place, on peut, en ces deux corps, distinguer quatre changements[1] ; deux de ces changements se produisent dans le corps qui est chassé, et deux dans le corps qui survient ; chacun de ces changements s’opérant entre deux termes, huit termes différents peuvent être énumérés. Considérons, par exemple, le corps qui chasse l’autre. Un premier changement a pour terme initial (a quo) l’ubi primitif du corps, pour terme final (ad quem) la privation de cet ubi ; ce premier changement est la perte de l’ubi primitif. Le second changement a pour terme initial la privation du nouvel ubi, et, pour terme linal, ce nouvel ubi ; ce second changement est 1 acquisition du nouvel ubi.

Deux changements tout semblables ont leur siège dans le corps expulsé.

Toute cette théorie de Duns Scot sur l’immobilité du lieu ne fait guère que développer ce qu’avait indiqué Saint Thomas, particulièrement en son opuscule De natura loci ; toutefois, entre la doctrine du Docteur Angélique et celle du Docteur Subtil, il convient de noter une divergence à laquelle les Scotistes attacheront une grande importance ; lorsqu’un corps immobile se trouve plongé dans un milieu variable, Thomas d’Aquin lui attribue un lieu rationnel unique, et Gilles de Rome, d’une manière analogue, regarde comme invariable le lieu formel de ce corps ; c’est une opinion que Duns Scot condamne avec force ; pour lui, d’un instant à l’autre, ce corps se trouve en des lieux rationnels différents ; numériquement distincts, les rationes loci successives sont seulement equivalentes entre elles ; c’est l’influence de Damascius et de Simplicius que nous percevons ici, très nettement, en la doctrine du Docteur Subtil.

La distinction entre le fait de loger et le fait d’être logé, entre le lieu et l’ubi, est le fondement de l’explication du mouvement de la dernière sphère céleste.

La dernière sphère céleste n’est contenue par aucun corps[2],

  1. R. P. F. Joannis Duns Scoti, Doctoris Subtilis, Ordinis Minorum. Quæstiones in librum IV Sententiarum ; Operum tomus octavus ; Lugduni, apud Laurentium Durand, MDCXXXIX. Dist. X, quæst. I ; Utrum possibile sit corpus Christi sub specie panis et vini realiter contineri ? p. 501.
  2. J. Duns Scoti Quæstiones quodlibetales ; quæst. XI. Operum tomus duodecimus, p. 263.