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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

saurait, à titre de limite de l’Univers, demeurer identique à elle-même.

Dès lors, il faut renoncer à trouver nulle part cette enceinte incapable de mouvement qui, seule, constituerait un lieu immuable ; toujours la matière qui entoure un corps est susceptible d’éprouver quelque mouvement local.

Lors donc que cette matière environnante, sujet de l’accident que nous nommons lieu, vient à être animée de mouvement local, le lieu du corps fixe que cette matière contient change incessamment. Non pas que ce lieu soit animé de mouvement local ; il n’est pas susceptible de ce mouvement-là. Mais, à chaque instant, le lieu du corps périt, se corrompt, et un lieu nouveau est engendré. Incapable de mouvement local, le lieu est susceptible de génération et de corruption.

Cependant, on dit communément que le corps considéré demeure sans cesse au même lieu. Qu’entend-on par là ? D’après ce que nous venons de dire, ce corps est véritablement en un certain lieu à un certain instant, et en un autre lieu à un autre instant. À chacun de ces deux lieux réellement distincts correspond un lieu rationnel (ratio loci) et, en vérité, ces deux lieux rationnels sont aussi distincts ; mais ils sont équivalents au point de vue du mouvement local. C’est cette équivalence que l’on entend rappeler en disant que le lieu d’un corps immobile demeure invariable lors même que les corps environnants sont en mouvement.

Qu’est-ce que ce lieu rationnel, cette ratio loci ? C’est un rapport à tout l’Univers. Quand deux tels rapports sont numériquement distincts, mais spécifiquement identiques, ils correspondent à deux lieux distincts, mais équivalents ; un corps qui occupe successivement ces deux lieux ne se meut point de mouvement local. Quand deux lieux rationnels ont entre eux non seulement une différence numérique, mais encore une différence spécifique, les lieux auxquels ils correspondent ne sont plus équivalents ; le corps qui occupe successivement ces deux lieux se meut de mouvement local.

Lorsqu’un corps se meut, on dit communément qu’un second corps vient occuper le lieu que quitte le premier ; cela n’est point exact, cependant, si les corps environnants se meuvent aussi ; le lieu du second corps n’est nullement identique au lieu du premier ; le lieu de celui-ci périssait tandis que le lieu de celui-là s’engendrait ; le second lieu rationnel perdu par le premier corps, numériquement distinct du lieu rationnel gagné par le second, lui est spécifiquement identique, en sorte que le lieu qui s’engendre est