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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

La relation que nous avons à étudier est donc un rapport entre deux termes : l’un de ces termes, le lieu, est intrinsèque au corps contenant et extrinsèque au corps contenu ; l’autre, l’ubi, est intrinsèque au contenu et extrinsèque au contenant[1].

Outre le lieu et l’ubi, Duns Scot considère encore[2] un troisième élément qu’il nomme positio ; ce mot peut être traduit en français par disposition. Les parties d’un corps sont, au sein du corps entier, rangées dans un certain ordre ; lorsque ce corps se trouve en un certain lieu, lorsqu’il y possède son ubi, ses diverses parties occupent diverses parties du lieu ; la disposition indique cet ordre dans lequel les parties du corps se trouvent par rapport aux diverses parties du lieu ou du corps ambiant. La disposition est un ensemble de données quantitatives, d’éléments géométriques qui spécifient l’ubi du corps. Damascius et Simplicius l’avaient également considérée.

Ces préliminaires posés, Duns Scot peut aborder la difficile question de l’immobilité du lieu. Examinons successivement divers cas.

Imaginons, tout d’abord[3], que les corps contenants demeurent les mêmes tandis que le corps contenu par eux vient à changer. Pourrons-nous dire que le lieu demeure et que des corps différents viennent successivement occuper le même lieu ?

Une telle affirmation serait, semble-t-il, en contradiction avec ce qui précède. Le lien est un rapport entre le contenant et le contenu ; si l’on change l’un des deux termes, le rapport change ; lors même que le contenant demeurerait invariable, on ne peut dire que le lieu reste le même si le contenant ne reste pas le même.

À cela, Duns Scot répond que le lieu n’est pas toute la relation qui existe entre le contenant et le contenu ; il est, dans cette relation, ce qui concerne le contenant ; quant au contenu, il n’y figure que d’une manière générale et non d’une manière particulière ; pour définir le lieu que forment tels corps contenants il faut, il est vrai, considérer un corps contenu ; mais il n’est pas besoin de le désigner d’une manière spéciale, de dire s’il est tel ou tel corps. Changeons donc le corps contenu sans changer les corps contenants ; nous aurons, il est vrai, modifié la relation entre le conte-

  1. R. P. F. Joannis Duns Scoti, Doctoris Subtilis, Ordinis Minorum, Quæstiones in librum IV Sententiarum ; Operus tomus octavus ; Lugduni, sumptibus Laurentii Durand, MDCXXXIX. Dist. X, quæst. II : Utrum idem corpus possit esse localiter simul in divertis locis ? p. 513.
  2. J. Duns Scot, Op. cit., dist. X, quæst. I.
  3. J. Duns Scot, Quæstiones quodlibetales ; quæst. XI. Operum tomus XII, pp. 266-367.