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LE LIEU

l’une des principales questions soumises à cette discussion ; de cette critique va sortir également toute une théorie nouvelle du lieu et du mouvement.


II
JEAN DE DUNS SCOT


Cette théorie, c’est Jean de Duns Scot qui l’inaugure.

De ses idées sur le lieu et le mouvement, il n’a pas donné d’exposé d’ensemble ; il les a émises çà et là, incidemment, à propos de discussions théologiques ; cette particularité suffirait à rendre malaisée la lâche de les saisir pleinement ; leur extrême subtilité n’est pas faite pour rendre cette tâche moins ardue ; essayons cependant d’en venir à bout.

L’étude du lieu est, pour Duns Scot, l’étude d’une relation entre deux termes, le corps contenu, le corps contenant.

L’idée de lieu[1] comporte tout d’abord celle d’une surface ; mais cette surface ne suffirait pas à constituer le lieu ; il y faut joindre la considération de la matière qui forme le contenant ; la surface seule, abstraction faite de cette considération, ne saurait être regardée comme délimitant un lieu ; cette nécessité d’avoir égard, non seulement à la surface limite, mais encore à la matière ambiante, lorsqu’il s’agit de définir le lieu, se marque par l’expression ultimum continentis au moyen de laquelle les Péripatéticiens donnaient cette définition.

Mais un corps ne peut être contenant qu’à l’égard d’un corps contenu ; le lieu a donc une contre-partie[2]. Le lieu correspond à l’action de loger, locare ; la contre-partie correspond à la passion opposée à cette action, au fait d’être logé, locari. Cette contrepartie du lieu, Duns Scot la désigne par le terme ubi ; il emprunte la définition de ce terme à l’Auteur des Six principes : « Ubi est circumscriptio corporis a circumscriptione loci procedens. »

Au traité de Gilbert de la Porrée, la définition de l’ubi que Duns Scot vient de citer était suivie de cette remarque essentielle que le lieu est un attribut du corps contenant et l’ubi un attribut du corps contenu.

  1. B. P. F. Joannis Duns Scoti, Doctoris Subtilis, Ordinis Minorum, Quæstiones quodlibitales ; Operum tomus duodecimus ; Ludgduni, sumptibus Laurentii Durand, MDCXXXIX. Quæstio XI : Utrum Deus possit facere quod, manente corpore et loco, corpus non habeat ubi, sive esse in loco ? pp. 266-267.
  2. J. Duns Scot, loc. cit., p. 262.