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LE LIEU

teurs en Sorbonne « et autres prud’hommes ». Sans pitié, ces théologiens condamnent toutes les propositions où l’on refusait à Dieu le pouvoir d’accomplir un acte, sous prétexte que cet acte est en contradiction avec la Physique d’Aristote et d’Averroès.

Parmi les erreurs condamnées, il s’en trouve une[1] qui est formulée en ces termes : « Quod Deus non possit movere Cælum motu recto. Et ratio est quia tunc relinqueret vacuum. »

Pour dénier à Dieu le pouvoir d’imposer à l’Univers un déplacement d’ensemble, l’auteur ici condamné invoquait une raison qu’un Péripatéticien n’eût point admise ; hors du Monde, selon le Philosophe, il n’y a pas de lieu, partant pas de vide. Mais ce que les docteurs de Sorbonne avaient censuré, c’était la proposition elle-même, non le motif invoqué en sa faveur ; soutenue par des arguments plus exactement péripatéticiens, elle n’eût sans doute pas rencontré plus d’indulgence auprès d’eux.

Bien que la valeur dogmatique des décisions d’Étienne Tempier ait été contestée dès l’origine, l’influence des condamnations portées par les docteurs en Sorbonne fut très grande à l’Université de Paris, et dans les Universités anglaises et allemandes auxquelles celle-ci donnait le mot d’ordre. D’ailleurs, ceux-là mêmes qui contestaient la validité de la condamnation que nous venons de rapporter n’eussent osé soutenir que l’Assemblée de 1277 avait formulé un non-sens ; il leur fallait bien admettre, contre le sentiment très net d’Aristote, que l’on peut attribuer à l’Univers un mouvement d’ensemble sans cependant proférer par là des paroles qui ne signifient rien.

Ainsi l’Astronomie et la Théologie unissaient leurs efforts pour contraindre les philosophes à reprendre sur nouveaux frais la théorie du lieu et du mouvement local.

La doctrine nouvelle, élevée sur les ruines de la théorie péripatéticienne, devait rappeler, par la plupart de ses traits, la doctrine de Damascius et de Simplicius : l’École Franciscaine allait être la principale ouvrière de l’édifice qu’il s’agissait de construire.

L’un des premiers théologiens en qui nous puissions noter l’influence de la condamnation portée en 1277, par Étienne Tempier, contre les Articuli Parisienses, est Richard de Middleton. En particulier, ce franciscain s’empresse d examiner cette question[2] :

  1. R. P. Denifle et E. Châtelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, tomus I (1200-1285) ; Paris, 1889. Pièce no 473, 7 mars 1277.
  2. Clarissimi theologi Magistri Ricardi de Media Villa Seraphici ord. min. convent. Super quatuor libros Sententiorum Petri Lombardi Quæstiones subtilissimæ. Tomus secundus. Brixia1, MDXCÎ. Lib. il, dist, XIV, art. III, quæst. III : Utrum Deus posset movere ullhmim cælum Énotu recto ; p. 186.