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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

de Grazadei ont été imprimées d’après un exemplaire manuscrit récemment retrouvé ; il nous laisse donc entrevoir qu’elles étaient déjà anciennes ; mais à quelle époque avaient-elles été composées ? C’est ce que ce colophon ne nous apprend pas et ce qu’il est malaisé de savoir.

Les PP. Quétif et Échard énumèrent[1] de nombreux écrits dus à la plume de Grazadei ; mais au sujet de l’auteur, ils ne nous donnent que de bien minces renseignements. Ils nous disent que, selon Léandre Alberti[2], il brillait en 1341 ; mais ils ne nous dissimulent pas qu’Alonzo Fernandez le fait vivre en 1480 et Altamura en 1314.

Toute indication capable de faire cesser l’indécision de ces dates serait évidemment précieuse. En voici une qui nous paraît assurée :

Lorsque nous étudierons la théorie du temps, nous verrons que Grazadei, comme la plupart des Scolastiques, examine cette question : Le temps existe-t-il dans l’âme ou hors de l’âme. Nous verrons que la réponse qu’il propose à deux reprises est tout à fait conforme, dans l’esprit et dans les termes, à la très remarquable solution que Jean le Chanoine développe, à l’imitation de François Bleth, dans ses Questions sur la Physique. Il ne semble pas douteux que Grazadei n’ait sous les yeux l’écrit de Jean le Chanoine et ne le résume fidèlement.

Or les Questions du Chanoine peuvent cire datées avec une assez grande approximation ; elles ont été rédigées, nous l’avons vu[3], pendant que Gérard d’Odon était ministre général de l’ordre franciscain, c’est-à-dire entre 1329 et 1342. Les Questions disputées de Grazadei, et les Questions littérales qui leur sont postérieures ne sauraient avoir précédé de beaucoup l’année 1340.

Ont-elles été écrites longtemps après cette date ? Rien ne le fait supposer. Les opinions les plus récentes qu’elles discutent sans, d’ailleurs, en jamais nommer les auteurs, sont de Pierre Auriol, de Guillaume d’Ockam, de Jean le Chanoine ; aucune doctrine n’est examinée par elles qui n’ait été couramment débattue à Paris avant l’an 1350. On peut donc croire que le xive siècle n’était pas encore au milieu de sa course lorsque Grazadei d’Ascoli alla conquérir à Paris, selon les règles de son ordre, le grade de docteur en Théologie. En nous disant qu’il florissait en 1341, Léandre Alberti ne nous aurait pas trompé.

  1. Quétif et Échard, Scriptores Ordinis Prædicatorum, t. I, p. 603, col. a.
  2. Leander Albertus, De viris illustribus, fol. 153, col. b.
  3. Voir tome VI, p. 389.