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LE LIEU

l’Empyrée. » Fort judicieusement, Jean Marbres ajoute : « Mais la difficulté que rencontrent les philosophes pour donner un lieu au premier mobile, la foi la retrouve lorsqu’il s’agit d’attribuer un lieu à l’Empyrée ; en effet, bien que ce ciel ne se meuve pas, Dieu pourrait le mouvoir ; et cependant, au cours de ce mouvement, il ne serait contenu par aucun corps. »

Albert de Saxe[1], qui rejette comme Jean le Chanoine l’hypothèse d’un dixième Ciel immobile, nous fait connaître les raisons invoquées par les partisans de cette supposition : « Tout corps qui se meut du mouvement local doit être par lui-même (per se) en un lieu ; la dernière sphère étant, par elle-même, en mouvement, doit être en un lieu par elle-même ; or, cela ne serait point s’il n’existait au-dessus d’elle une sphère immobile qui la contînt ; le lieu, en effet, est la partie ultime du corps contenant, et le lieu doit être immobile ; il faut donc qu’au delà de toutes les sphères mobiles, il existe une sphère fixe.

« Certains physiciens, il est vrai, prétendent résoudre d’une autre manière la même difficulté ; ils disent que ce qui assure un lieu à l’orbe suprême, c’est sa position par rapport à la Terre. Mais cette solution est sans valeur ; par rapport à l’orbe suprême, la Terre ne possède nullement les propriétés qui conviennent au lieu ; elle ne contient pas le corps logé, elle ne lui est pas égale, etc. En outre, le mouvement naturel doit être ordonné au lieu et à la nature de ce lieu ; or, d’aucune manière, le mouvement naturel du Ciel n’est déterminé par la Terre.

« Aucun corps qui, par lui-même, soit mobile n’a, en soi, son appui fixe ; il lui faut, hors de lui, un corps immobile qui lui fournisse cet appui fixe, comme on le voit au livre Du mouvement des animaux ; mais les orbes célestes ne peuvent trouver en la Terre le principe qui les fixe ; ce serait plutôt l’inverse qui serait vrai ; il faut donc, au nombre des orbes célestes, placer un Ciel immobile, d’où tous les autres tirent leur fixité. »

Telles sont les raisons qu’invoquaient les partisans de l’hypothèse nouvelle pour la substituer à l’hypothèse d’Aristote et d’Averroès ; mais les arguments par lesquels Albert de Saxe a ruiné celle-ci sont tout aussi forts pour renverser celle-là. Le premier Mobile se meut sur place, d’un mouvement de rotation, sans que sa fixité ait besoin d’aucun support extrinsèque, que ce support

  1. Alberti de Saxonia Quæstiones in übros de Cælo et Mundo ; in libr. II, quæst. VIII.