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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Monde a un centre et que ce centre est fixe ; ce n’est pas, en effet, l’existence et la fixité du centre qui est cause de la fixité de ce ciel qui ne se meut point et ne saurait être mis en mouvement ; il en est tout au contraire ; sinon, ce qu’il y a, par nature, de plus vil et de plus bas, serait cause de ce qui est par nature plus noble et plus élevé ; cela est impossible. S’il est donc impossible que le mouvement circulaire de la sphère puisse avoir lieu, à moins que l’on ne conçoive un centre absolument immobile, et non seulement un centre mathématique, mais un centre naturel, sur lequel la sphère se meuve ; si, une fois admise l’existence du ciel empyrée qui contient toutes les autres choses corporelles, qui les précède toutes soit dans le temps, soit par nature, il faut encore admettre un centre, une chose qui joue le rôle de centre (ratio centralis), centre sur lequel se mouvront nécessairement les cieux mobiles, il est clair que le repos du ciel empyrée sera la cause universelle de tout changement éprouvé par les êtres capables de génération et de corruption, bien plutôt que ne le sont le premier mobile et les autres sphères inférieures ; de même que la cause première est plus cause que ne le sont les causes secondes. »

Cette hypothèse, qui plaçait aux confins du Monde le lieu nécessairement immobile qu’Averroès cherchait au centre, paraît avoir été fort mal accueillie au xive siècle. De l’accueil qui lui fut fait alors, disons ici quelques mots, afin de n’avoir pas à y revenir.

Déjà Duns Scot, en ses Quæstiones quodlibetales[1] avait mis à nu l’inanité d’une telle théorie : « Dire que la dernière sphère ne se meut point, ce serait affirmer qu’elle ne se meut point du mouvement local dont elle est capable ; mais de quel mouvement local serait-elle capable si elle n’est en aucun lieu ? » L’hypothèse d’un Empyrée immobile recule, sans la résoudre, la difficulté relative au lieu de l’orbe suprême ; tel est le corollaire naturel de la remarque que nous venons d’emprunter au Docteur Subtil.

Comme son maître Jean Duns Scot, Jean le Chanoine fait à cette théorie une brève, mais formelle allusion[2] : La question du lieu du premier mobile donne lieu à des difficultés chez les philosophes, mais non chez les théologiens ; selon les philosophes, en effet, le premier mobile n’est entouré par aucun corps, mais il les contient tous ; selon la foi, au contraire, il est entouré par

  1. Duns Scoti Quæstiones quodlibetales ; quæst. XI.
  2. Joannis Canonici Quæstiones super VIII libros Aristotelis de physica auscultatione ; in lib. IV, quæst. II.