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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Le lieu d’un corps entoure ce corps ;

Le lieu d’un corps est une chose immobile. «

Or voici que la Théologie chrétienne sembla sur le point de tirer d’embarras la Physique Aristotélicienne, en plaçant tout autour de l’Univers une sphère exemple de tout mouvement local. Elle crut que l’Écriture lui affirmait l’existence de cet ultime orbe fixe que Proclus[1] voulait déjà prendre pour lieu de l’Univers, pour repère de tous les mouvements.

Guidés par certains passages de l’Écriture, bon nombre de théologiens voulaient, au delà des divers cieux mobiles qu’avaient imaginés les astronomes, poser un dernier Ciel immobile ; Isidore de Séville, Bède le Vénérable, Raban Maur, le Pseudo-Bède, Saint Anselme, Pierre Lombard, avaient admis cette supposition. À l’appui de cette opinion théologique, plusieurs avaient cherché des raisons physiques ; Michel Scot, Guillaume d’Auvergne, Saint Bonaventure et Vincent de Beauvais avaient ouvert cette voie. Certains physiciens, embarrassés par la « grande question » du lieu de la neuvième sphère, pensèrent en trouver la solution en recourant à cette dixième sphère immobile ; cet « Empyrée », ce « Ciel aqueux », enveloppant la dernière orbite, lui fournissait un lieu ; il était le terme fixe auquel pouvaient être rapportés les mouvements des Cieux ; il assurait la fixité aux deux pôles autour desquels tournaient tous les autres orbes.

Il semble que cette théorie eût déjà cours au temps de Saint Bonaventure et que quelques paroles de celui-ci[2] fissent allusion au rôle de lieu universel attribué à l’Empyrée ; il en parle, en effet, comme d’un orbe immobile « qui est contenant et non contenu. »

Certaines expressions de Saint Thomas d’Aquin prêteraient, elles aussi, à une interprétation semblable.

En tous cas, la doctrine dont il s’agit est nettement formulée dans la Théorie des planètes que Campanus de Novare rédigea à la demande du pape Urbain IV[3]. Voici en quels termes

  1. Voir : Première partie, Ch. V, § XIII, L I, pp. 341-342.
  2. Celebratissimi Patris Domini Bonaventuræ, Doctoris Seraphici, Ordinis Minorum, In secundum librum Sententiarum disputata ; Secunda pars : libri secundi distinctionis XIV pars quarta ; quæst. III : Utrum conveniat alicui orbi moveri absque stellis ?
  3. Cet écrit porte le titre : Opus Campani de modo adæquandi planetas, sive de quantitatibus motu cælestium, orbiumque proportionibus, centrorumque distantiis. ipsorumque corporum magnitudinibus, dans le ms. no 7298 du fonds latin de la Bibliothèque nationale ; dans le no 7401 du même fonds, il est simplement désigné par ces mots : Theorica planetarum Campani. Le passage qui nous intéresse en ce moment se trouve au deuxième chapitre après le Proœmium.