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LE LIEU

sens dérivé auquel le nom de lieu ne conviendra plus que par équivoque.

La définition précédente considère un corps contenant unique qui demeure inchangé.

Un corps peut être contenu par plusieurs matières différentes qui, d'ailleurs, ne changent pas d’un instant à l'autre ; il peut être plongé en partie dans l'eau et en partie dans l'air ; par une première équivoque, nous dirons que les extrémités de l’eau et de l'air sont le lieu de ce corps.

Un corps peut être, à chaque instant, enveloppé par une seule et même matière ; mais cette matière peut changer d'un instant à l'autre ; ainsi dit-on, par équivoque, d'une tour immobile qu'elle demeure au même lieu, bien que l'air au sein duquel elle se trouve soit constamment entraîné par le vent.

On peut réunir les deux équivoques précédentes ; un corps peut être, à chaque instant, contenu par plusieurs milieux différents, et l'un de ces milieux ou chacun d'eux peut s‘écouler d'un instant à l'autre ; ainsi en est-il d'un pieu fiché dans le lit d’un fleuve et que baigne une eau sans cesse renouvelée.

À ces trois sens dérivés, le nom de lieu ne convient que par équivoque ; le sens propre du mot lieu concerne une surface unique et invariable dans le temps ; ici, nous avons considéré successivement plusieurs surfaces invariables, puis une surface variable, enfin plusieurs surfaces variables. Mais l'équivoque est autrement grande lorsque nous parlons du lieu du Ciel ultime[1].

Le Ciel ultime a un lieu, car nous disons de ses parties qu'elles se meuvent de mouvement local, qu'elles changent de lieu, que telle partie est à l’orient à tel moment, à l'occident à tel autre moment. Lors même que ce Ciel serait immobile, il serait encore en un lieu, car ses diverses parties seraient en repos local.

Mais aucun corps n'entoure le Ciel ultime, aucun corps ne le loge ; lors donc que nous parlons du lieu de ce Ciel, nous rapportons ce lieu à aucune surface, simple ou multiple, invariable ou changeante. Par ce lieu, nous entendons seulement désigner un certain rapport du Ciel ultime aux termes et au centre du Monde.

« Je dis que ce lieu n'est point autre chose qu'un certain rapport au centre et aux termes du Monde. Lorsqu'une étoile est à l'extrémité d'une ligne menée de l'orient jusqu'au centre du Monde, on dit que le lieu de cette étoile est à l'orient ; si l'étoile

  1. Roger Bacon, loc. cit., fol. 51, a et b.