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LE LIEU

minatus in universo corporeo). Voici qui le démontre : Tant qu’un mobile garde le même ordre par rapport à l’Univers, on dit purement et simplement qu’il demeure au même lieu ; dès là que cet ordre vient à changer, on dit, tout aussitôt que ce corps change de lieu. |

» Qu’un navire, par exemple, ancré dans un fleuve, demeure fixement dans le même ordre à l’égard de l’Univers ; la surface de l’eau qui contient ce navire aura beau changer, parce que cet ordre demeure unique, on dira que le navire reste purement et simplement dans un seul et même lieu. Que le navire, au contraire, en même temps que la surface de l’eau qui le contient, passe, à l’égard de l’Univers, d’un ordre à un autre ordre ; bien que le navire demeure toujours dans la même surface de l’eau ambiante, on dira toutefois, à cause de ce changement d’ordre, qu’il a changé de lieu. Cela suffit bien à montrer que cet ordre constitue formellement le lieu.

» De là se tire évidemment la conclusion suivante : À toute chose, considérée en elle-même et dans son entier, est dû un ordre déterminé au sein de l’Univers corporel ; à cette chose, donc, est dû un lieu pris d’une manière formelle ; à cette chose est proprement dû un certain ubi, en désignant par ce terme l’existence ans un lieu pris d’une manière formelle. »

Développant avec une grande précision l’enseignement de Saint Thomas d’Aquin et de Gilles de Rome, notre auteur va s’attacher à démontrer que le lieu formel est immobile tandis que le lieu matériel peut se mouvoir[1].

» Dans le lieu, il y a deux choses à considérer : La surface du corps ambiant qui entre à titre de matière dans la nature du lieu, et l’ordre au sein de l’Univers, d’où se prend la nature formelle du lieu.

» Par son premier constituant, le lieu ne possède pas l’immobilité, car la surface d’un corps naturel se meut par l’effet du mouvement du corps dans lequel elle existe. C’est donc du second constituant, de l’ordre de l’Univers, que le lieu tient son immobilité.

» Cet ordre, en effet, est absolument immobile, et en voici la démonstration :

» L’ordre qu’affectent dans l’Univers, je ne dis pas les choses naturelles, mais les situations, a pour fondement la distance entre

  1. Gratiadei Op. laud., lib. IV, lect. V, quæst. VI ; éd. cit., fol. 42, col. d, et fol. 43, col. a.