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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

VI
GRAZADEI D’ASCOLI


Dans cet exposé des théories du lieu, nous continuerons à tenir un compte plus exact de la suite des pensées que de l’ordre des temps ; c’est pourquoi, nous transportant d’emblée au milieu du xive siècle, nous exposerons les opinions de Grazadei d’Ascoli. L’objet de Grazadei, en effet, paraît avoir été de garder et de développer tout ce qu’il y avait de thomiste dans la doctrine de Gilles de Rome, mais de corriger ce par quoi, touchant le lieu de la huitième sphère, Gilles s’était écarté de Thomas d’Aquin.

Grazadei nous apprendra, tout d’abord[1], que « la constitution parfaite de la nature (ratio) du lieu requiert deux choses. Il faut, tout d’abord, que le corps logé soit contenu par son lieu ; comme ce qui le contient immédiatement, c’est la surface du corps qui l’enveloppe, il paraît que cette surface du corps ambiant concourt à la constitution du lieu. En second lieu, à la constitution du lieu concourt un ordre bien déterminé au sein de l’Univers corporel.

» Lorsqu’une chose est dans un lieu qui, en lui-même, implique ces deux caractères, cette chose se trouve en un lieu d’une manière parfaite et propre ; c’est nécessairement de cette manière que sont logés les corps qui se meuvent de mouvement rectiligne.

» Mais un corps mû (le mouvement de rotation ne se trouve pas nécessairement dans un lieu qui implique ces deux caractères ; on peut rencontrer, comme on le montrera plus loin, un tel corps qui ne se trouve pas contenu par la surface d’un autre corps circulaire. »

Ces deux éléments dont le concours produit la nature parfaite et complète du lieu, Grazadei va, comme Gilles de Rome, les nommer la matière et la forme du lieu.

» Il y a deux choses, dit-il[2], qui concourent surtout à constituer la nature du lieu ; l’une de ces choses est ce qu’il y a de formel dans le lieu, et l’autre ce qu’il y a de matériel.

» D’une manière formelle, le lieu ne paraît pas autre chose qu’un ordre déterminé au sein de l’Univers corporel (ordo deter-

  1. Incipiunt preclarissime questiones litterales edite a fratre Gratiadeo Esculano sacri ordonis predicotorum super libros Aristo de physico auditu : secundum ordinem lectionum Divi Thome Aquinatis. — Lib. IV, lect. I, quæst. II. Éd. Venetiis, 1503, ol. fol. 39, col. b.
  2. Gratiadei Op. laud., lib. IV, lect. VI. quæst. II ; éd. cit., fol. 43, col. b.