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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Contre le système d’Averroès, il rappelle[1], tout d’abord l’objection thomiste :

« Est-ce par son centre que le Ciel est en un lieu ? Il semble qu’il n’en soit rien, Le centre, en effet, paraît entièrement extrinsèque au Ciel ; il paraît n’avoir rien de l’essence du Ciel ; dès lors, il serait ridicule de prétendre que le Ciel est en un lieu parce que son centre est en un lieu. »

Voici maintenant la réponse à cette objection ; la pensée du Commentateur s’y trouve formulée avec une rare netteté :

« Tout mouvement procède par rapport à un objet immobile. Jamais nous ne pourrions imaginer un mouvement si nous n’imaginions un terme fixe par rapport auquel nous puissions affirmer que tel corps se meut. Bien plus, le lieu rationnel (ratio loci) est conçu comme quelque chose d’immobile ; nous ne pourrions donc jamais imaginer un mouvement local si nous ne concevions un objet immobile auquel soit rapporté le lieu rationnel. Or, pour fixer une sphère, il faut d’abord en fixer le centre, en sorte que l’immobilité de la sphère est tirée surtout de l’immobilité du centre. De même, on juge du mouvement de la sphère par comparaison avec le centre. C’est donc par la considération de son centre que l’on doit fixer le lieu de cette sphère. »

Précisons encore ces considérations : « Le dernier Ciel est, à la fois, tout entier en repos et tout entier on mouvement. »

» Il est tout entier en repos, parce que, pris dans son ensemble (secundum substantiam), il ne change jamais de lieu ; et cela résulte de la continuelle immobilité de son centre.

» D’autre part, le dernier orbe se meut tout entier, en ce que sa disposition change sans cesse. La Terre, en effet, qui demeure en repos au centre du Ciel, n’est pas toujours vue de la même manière d’une région de ce Ciel.

» On juge donc de l’immobilité du Ciel aussi bien que de son mouvement par la considération du corps central. Or, on ne s’enquiert du lieu qu’afin de pouvoir juger du repos et du mouvement. On ne saurait donc chercher le lieu du Ciel que dans la considération de son centre. »

Les idées et le langage même de Saint Thomas sont appelés ici au secours de la solution averroïste que le Docteur Angélique avait rejetée ; Gilles use également de ces idées et de ce langage pour

  1. Ægidius Romanus, Op. cit., in lib. IV, lect. VIII, text. comm. 46, dubitatio 4, fol. 74, recto.