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LE LIEU

L’immobilité de l’Univers secundum substantiam entraîne l’immobilité du centre du Monde ; pour que ce centre changeât, il faudrait que le Monde subît un déplacement d’ensemble. D’ailleurs, en parlant d’un centre immobile, Gilles de Borne entend évidemment, comme tous ses prédécesseurs, d’Aristote à Saint Thomas d’Aquin, parler non d’un point, mais d’un corps central fixe. Un peu plus loin[1], pour désigner le pivot invariable des révolutions célestes, il dit indifféremment : le centre, ou : la Terre. La fixité de ce corps central entraîne la fixité de la surface sphérique qui borne l’Univers, et aussi des surfaces qui délimitent chacun des orbes célestes, car chacune de ces sphères a un rayon invariable ; la fixité des pôles, à son tour, résulte de cette immobilité du corps central et de la surface ultime du Monde.

Au lieu donc de définir le lieu formel d’un corps comme la situation de ce corps par rapport à l’Univers, nous pouvons dire que c’est la position que ce corps occupe par rapport au centre et aux pôles du Monde. Mais la première définition est préférable à la seconde, puisque la fixité du corps central et des pôles dérive elle-même de la fixité de l’Univers.

Résumons donc cette doctrine[2] : « Le lieu matériel d’un corps, c’est la surface du corps qui contient le premier ; ce qu’il y a de formel en ce même lieu, c’est sa situation par rapport à l’Univers, car la position même de l’Univers est absolument immobile… Pris au point de vue formel, le lieu n’est mobile ni par lui-même, ni par accident ; au point de vue matériel, le lieu d’un corps n’est pas mobile par lui-même ; mais il l’est par accident », car les corps ambiants qui forment ce lieu peuvent se déplacer.

En toute la théorie générale que nous venons de rapporter, Gilles de Rome n’a fait que suivre la pensée de Saint Thomas d’Aquin ; il l’a modifiée en un seul point : il a affirmé que la ratio loci était ce que le lieu contient de formel ; encore le Docteur Angélique avait-il comme insinué cette pensée. Gilles se sépare de ce maître lorsqu’il s’agit de répondre à cette célèbre question : Quel est le lieu de la dernière sphère céleste ? En la solution de ce problème, le Docteur Angélique, du moins en son Commentaire à la Physique, tenait pour Aristote contre Averroès ; Gilles tient pour Averroès contre Aristote.

  1. Ægidius Romanus, Op. cit., in lib. IV, lect. VIII, text. comm, 46, dubitatio 2, fol. 73, verso.
  2. Ægidius Romanus, Op. cit., in lib. IV, lect. VIII, text. comm, 41, dubitatio 2, fol. 72, verso.