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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

bustion d’une partie du bois et que l’addition de bois nouveau le fasse varier quant à sa matière[1]. »

Si Saint Thomas d’Aquin n’a pas usé des termes : lieu matériel, lieu formel, déjà employés par Robert Grosse-Teste, Gilles Colonna, dit Gilles de Rome, n’hésite pas à les introduire dans son langage philosophique ; au sujet du difficile problème de l’immobilité du lieu, il reprend[2] textuellement l’aphorisme de l’Évêque de Lincoln : Locus est immobilis formaliter, mobilis vero materialiter.

L’exemple dont il se sert pour expliquer sa pensée est celui-là même qu’Aristote avait déjà considéré ; c’est l’exemple d’un navire à l’ancre en une eau courante ; matériellement, l’eau qui baigne ce navire et qui en est le lieu se renouvelle incessamment ; formellement, on dit que ce navire demeure au même lieu, parce que l’eau mobile et changeante qui le baigne garde même situation par rapport aux rives immobiles du fleuve.

Le lieu immobile, ce n’est donc pas, comme le voulait Aristote, l’enceinte fixe au sein de laquelle le vaisseau se trouve contenu ; ce ne sont pas les rives et le lit du fleuve ; c’est une disposition fixe du vaisseau par rapport à un terme qui est lui-même immobile.

Quel est ce terme immobile auquel doit être rapportée la situation qui constitue le lieu formel ? Ce terme immobile, c’est l’Univers.

Les diverses parties de l’Univers sont mobiles, mais l’Univers lui-même est immobile dans son ensemble, secundum substantiam. La situation qui constitue le lieu formel, dont la permanence est l’immobilité du lieu, c’est la position par rapport, à l’ensemble de l’Univers. « Supposons qu’un homme se tienne immobile à la surface de la Terre ; que le souffle du vent entraîne tout l’air qui l’environne ; on ne dira pas qu’il a changé de lieu, bien qu’il soit plongé maintenant dans un air tout autre que celui où il se trouvait tout à l’heure ; on dira qu’il est demeuré au même lieu, parce qu’il a gardé même situation par rapport à l’Univers. »

  1. {sc|Sancti Thomæ Aquinatis}} In libros Physicorum Aristotelis expositio ; in lib. V, lect, VI.
  2. Egidii Romani In libros de physito auditu Aristotelis commentaria accuratissime emendata : et in marginibus ornata quotationibus textuum et comentorum, ac aliis quamplurimis annotationibus : cum tabula questionum in fine. — Ejusdem questio de gradibus forwirurn. Colophon : Preclarissimi siiniiniqtie Egidii Romani De gradibus formarum tractatus Venetiis impresaus mandato et expensis heredum nobilis viri domini Octaviani Scoti civis Modoetiensis per Bonetum Locatellum presbyterum, 12o kal. Octobr. 1502. In lib. IV. lect. VII, text. comm. 41, dubitatio 2, fol. 72, recto.