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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

selon sa totalité, mais par ses parties ; ces parties elles-mêmes pas un lieu actuel, mais un lieu potentiel ; aussi cet orbe ne peut-il éprouver de déplacement d’ensemble ; le mouvement de révolution est le seul qui lui convienne.

La réponse qu’a suggérée cette vue, le Pseudo-Thomas la répète en son opuscule ; mais, sans doute, elle ne lui semble plus capable de lever l’objection qui l’avait provoquée, car, tout aussitôt, il la fait suivre de cette phrase : « Si nous voulons garder la part de vérité que renferme cette opinion, il nous faut dire que le dernier ciel n’est pas en un lieu purement et simplement, mais qu’il y est par accident, en ce qu’il entoure son lieu. »

Voilà donc, par un singulier revirement de pensée, Saint Thomas d’Aquin rallié à la théorie d’Averroès, qu’il avait qualifiée de ridicule ! Cela seul suffirait à dénoncer le caractère apogryphe de l’opuscule De natura loci.

À l’appui de cette théorie, l’auteur développe des considérations où l’influence d’Ibn Badjâ, influence qu’il avoue d’ailleurs, se marque mieux encore qu’elle ne se marquait en la doctrine authentique de Thomas d’Aquin.

Tout corps qui se trouve naturellement en repos est en un certain lieu ; en effet, pour qu’il soit naturellement en repos, il faut qu’il soit entouré de corps qui conviennent à sa nature ; ayant un contenant, il a un lieu.

Au contraire, il peut arriver qu’un corps en mouvement naturel n’ait pas de lieu ; à cet égard, une distinction est nécessaire.

Il y a des corps dont le mouvement naturel a pour objet de maintenir l’existence et d’accroître la perfection. Ces corps-là se meuvent vers les corps qui conviennent à leur nature et qui leur offriront un lieu naturel, parce qu’il sont actuellement entourés de corps qui répugnent à leur nature ; lors donc que ces corps se meuvent, ils sont en un contenant, partant en un lieu.

D’autres corps ne se meuvent point en vue de leur existence ni de leur perfection ; ils sont mus par une intelligence, et leur mouvement a pour objet de développer la causalité de la Cause première ; ces corps-là sont les orbes célestes ; pour qu’ils se meuvent, il n’est point nécessaire qu’ils soient environnés de corps contraires à leur nature, ni qu’ils aspirent à un contenant conforme à leur nature ; ils n’ont pas besoin de lieu.

En d’autres termes, le lieu, nous l’avons vu, ne contient pas seulement le corps logé ; il exerce à son égard une action de conservation. Les éléments et les composés périssables ont besoin d’être conservés ; il leur faut un lieu. Les corps célestes sont impé-