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LE LIEU

consiste pas seulement à envelopper ce corps ; il implique aussi une certaine aptitude à conserver ce corps ; le lieu ne contient pas seulement, il conserve.

Cette vertu conservatrice du lieu explique pourquoi sa raison (ratio loci), d’où découle sa permanence, consiste en la situation qu’il occupe par rapport au Ciel ; en effet, parmi les corps susceptibles de génération et de corruption, aucune matière ne peut être douée de la propriété de conserver une autre portion de matière, si elle ne la tient du Ciel : et cette vertu ou cette influence qu’elle reçoit du Ciel dépend de sa distance à ce corps et de sa situation par rapport à lui. Voilà pourquoi, en tout contenant, le lieu rationnel s’obtient par comparaison avec l’orbite suprême qui est, dès lors, le primum locans, le corps qui loge tous les autres.

L’opuscule Sur la nature du lieu se termine par un article ainsi intitulé : De quelle manière la dernière sphère se trouve en un lieu.

Au sujet de cette question, l’auteur reproduit d’abord la solution que Thomas d’Aquin avait donnée dans son Commentaire à la Physique d’Aristote. À cette solution, il adresse une objection qui était également formulée dans ce Commentaire : L’existence actuelle et le mouvement conviennent au tout et non pas à ses parties ; or, la manière dont un corps doit être en un lieu dépend de la manière dont il est en mouvement ; il faut donc qu’un corps soit en un lieu par son tout et non par ses parties.

Cette objection recevait, dans le Commentaire, la réponse suivante : Les parties de l’orbite suprême n’existent pas en acte, mais elles existent en puissance ; de même, elles ne sont pas actuellement en un lieu, mais elles y sont en puissance ; que l’on distingue une partie du reste de l’orbite, elle se trouvera en la totalité de cette orbite comme en un lieu ; ainsi, la dernière sphère se trouve en un lieu accidentel par ses parties, qui sont elles-mêmes logées en puissance ; cette manière d’être en un lieu suffit au mouvement de révolution.

Non seulement saint Thomas trouve cette réponse concluante, mais elle lui paraît mettre en évidence une harmonieuse gradation parmi les êtres.

Hors de l’orbite suprême il n’y a, selon l’enseignement d’Aristote, que des substances dénuées de lieu et essentiellement immobiles, À l’intérieur de la huitième sphère, sont des corps dont chacun est en un lieu en totalité et d’une manière actuelle ; ces corps-là se meuvent ou peuvent se mouvoir par le transport total de leur substance d’un lieu dans un autre. Entre ces deux sortes d’êtres se trouve la sphère suprême ; celle-ci n’est point en un lieu