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LE LIEU

riellement[1] le lieu est mobile ; formellement, il est immobile. » En quoi consiste le lieu matériel, en quoi le lieu formel, l’Évêque de Lincoln ne nous le dit pas.

La lecture des réflexions de saint Thomas[2] va nous l’apprendre.

On peut tout d’abord nommer lieu d’un corps la partie, immédiatement contiguë à ce corps, de la matière qui l’environne. Ce lieu-là, en tant qu’il est formé de telle ou telle matière, est mobile ; le corps considéré était environné de tel air ou de telle eau ; un peu plus tard, l’air ou l’eau qui l’entourent ont pu changer.

À côté du lieu ainsi compris, qui est mobile, nous devons considérer un autre lieu ; ce dernier est borné par les mêmes parties extrêmes des corps ambiants qui servent à délimiter le premier ; mais il consiste en une certaine relation entre ces parties ultimes des corps ambiants et l’ensemble de la sphère céleste ; il détermine l’ordre ou la situation du corps que ces parties contiennent par rapport à l’ensemble du Ciel ou par rapport à l’Univers immobile ; ce lieu est le lieu rationnel (ratio loci).

« La partie ultime du contenant, en tant qu’elle est formée de telle ou telle matière, n’est pas immobile. Mais en tant que l’on considère la situation qu’elle occupe en la totalité du Ciel, elle ne se meut point ; le corps qui vient former cette partie ultime renouvelée, comparé à l’ensemble du Ciel, a même situation relative que le corps qui la formait précédemment et qui s’est écoulé. »

Le lieu rationnel immobile est un rapport fixe à lensemble du Ciel ; cet ensemble lui-même est déterminé par le corps central et par les pôles ; en sorte que l’on pourrait définir le lieu rationnel : la situation par rapport au corps central et aux pôles. « Le lieu rationnel d’un contenant quelconque provient donc du premier des contenants, du premier des logements, à savoir du Ciel. »

Voici un exemple, suggéré par le texte même d’Aristote, qui montre bien comment toute ratio loci se tire, en dernière analyse, de la considération de l’orbite suprême. Dans le domaine des éléments graves ou légers, les différences de lieux vers le bas ou vers le haut se déterminent par comparaison au centre du Monde et à la surface concave de l’orbe de la Lune. Or, on a vu comment la fixité du corps central était exigée par le mouvement de rotation de l’orbe suprême. « Quant à la surface concave qui, de notre côté, termine l’ensemble des orbes célestes circulairement mobiles, elle est, il est vrai, animée d’un mouvement de révolution ; toute-

  1. Le texte dit : naturaliter ; il faut lire, je pense, materialter.
  2. Sancti Thommæ Aquinatis In libros physicorum Aristotelis expositio ; in lib. IV, lecture. VI.