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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

IV
SAINT THOMAS D’AQUIN


L’influence d’Aristote et celle d’Averroès sont les seules que l’on perçoive en la doctrine adoptée par Albert le Grand. La théorie du lieu et du mouvement local que développe Saint Thomas d’Aquin porte la marque d’autres influences. On y reconnaît, d’abord, certaines pensées de Thémistius. On y entrevoit aussi, bien que plus vaguement, certaines analogies avec la théorie proposée par Damascius et complétée par Simplicius. Ces analogies iront se fortifiant et se précisant dans l’enseignement de plusieurs des successeurs de saint Thomas, à tel point que, dans l’École scotiste, la doctrine de Damascius et de Simplicius finira par triompher de celle d’Aristote.

La rotation du Ciel exige l’immobilité de la Terre. En exposant cette théorie du Stagirite, Saint Thomas se montre commentateur plus scrupuleux que ses prédécesseurs ; il n’invoque nullement, en effet, les propositions qui sont formulées au De motibus animalium[1].

« Au centre d’un corps qui se meut circulairement, il faut, dit-il, que quelque chose demeure immobile. Il est manifeste, en effet, que tout mouvement circulaire a lieu autour d’un centre fixe. Or, il faut que ce centre se trouve en un corps fixe, car ce que nous nommons centre n’est pas quelque chose qui subsiste en soi ; c’est un accident appartenant à une chose corporelle ; ce centre ne peut être que le centre d’un certain corps. »

« Ce corps fixe doit être une partie du Monde… Mais il ne peut faire partie de l’orbe mobile, c’est-à-dire du corps céleste… Ce qui se trouve au centre est éternellement immobile, de même que le Ciel se meut éternellement… Or, ce qui est naturellement immobile au centre est la Terre… Si donc le Ciel tourne d’une éternelle révolution, il faut que la Terre existe. »

L’influence de Simplicius, que Thomas d’Aquin cite, d’ailleurs, à la fin de cette même leçon, transparaît dans les considérations par lesquelles il est prouvé qu’un centre immobile ne peut exister ailleurs qu’en un corps immobile.

La rotation de la dernière sphère céleste suppose l’existence d’un

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Exposifio in libros Aristolelis de Cælo et Mundo ; in lib. II, lect. IV.