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LE LIEU

La huitième sphère ne se meut pas secundum subjectum, c’est-à-dire selon sa masse totale ; prise dans son ensemble, cette masse garde une position invariable. Elle se meut selon sa forme, c’est-à-dire selon la position relative que ses diverses parties affectent par rapport au corps immobile qui occupe le centre ; cette forme, en effet, cette position relative, changent d’un instant à l’instant suivant.

Telle est donc la solution proposée par Averroès : Le premier mobile est en un lieu en ce qu’il est autour de son lieu, et ce lieu est la surface convexe du corps immobile qui se trouve en son centre. Dans les écrits du Commentateur, « cette solution paraît subtile, car elle est présentée en termes obscurs ; ces termes doivent être compris selon l’explication qui vient d’en être donnée ».

Mais à cette explication une objection peut être faite. Pour que le Ciel puisse être animé d’un mouvement de rotation, il faut que la Terre demeure immobile, contenant le centre de ce mouvement : telle est la proposition dont dépend toute la déduction précédente. Cette proposition n’affirme-t-elle pas que l’immobilité de la Terre est la cause du mouvement de la huitième sphère ? Or, pour un Péripatéticien, semblable affirmation serait inacceptable. C’est du premier Moteur que l’orbite suprême tire son mouvement ; l’immobilité de la Terre est l’effet, non point la cause, du mouvement céleste.

À cette objection, voici la réponse qu’adresse Albert le Grand : « Le mouvement de l’orbe suprême peut être considéré de deux points de vue distincts ; on peut voir en lui le mouvement du premier mobile ; on peut aussi l’étudier à titre de révolution accomplie sur place. Si l’on considère ce mouvement du premier point de vue, il dérive du premier Moteur, qui préside au huitième ciel, et non du corps central. Si on le considère, au contraire, du second point de vue, la rotation de la dernière orbite provient de l’immobilité du corps central. »

Bien qu’en ces questions, Albert le Grand se soit montré fidèle disciple d’Averroès, il n’a pas suivi jusqu’au bout la voie ouverte par le Commentateur, toute rotation supposant un corps dont l’immobilité en fixe le centre, Ibn Roschd avait déclaré que les épicycles et les excentriques imaginés par Ptolémée étaient des impossibilités physiques, tout en gardant le principe formulé par Averroès, Albert le Grand se refuse à en admettre la conséquence : il ne sauve le système de Ptolémée qu’au prix d’un illogisme.