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L’INFINIMENT PETIT ET L’INFINIMENT GRAND

Les âmes humaines sont immortelles et demeurent, après qu’elles ont quitté leurs corps, distinctes les unes des autres ;

Le Monde a une grandeur finie ;

En remontant la série des causes, ou parvient nécessairement à une cause première qui n’est pas causée.

Aussi, lorsque Al Gazâli eût abandonné la philosophie d’Avicenne pour revenir à la pure doctrine religieuse du Coran, s’empressa-t-il de nier la possibilité de tout infini actuel et d’en tirer argument contre l’éternité du Monde. Si le Monde n’avait pas eu de commencement[1], le nombre des révolutions que le Soleil a déjà accompli serait infini, et aussi le nombre des révolutions de Saturne ; cependant, le premier nombre serait au second dans le rapport inverse des durées de révolution des deux astres : deux nombres infinis seraient donc dans un rapport déterminé, ce qu’Al Gazâli juge contradictoire.

Contre Al Gazâli et contre les Motecallemîn, les philosophes péripatéticiens reprirent, sans en donner non plus de raison bien claire, la distinction posée par Aristote. Une multitude ne peut être infinie lorsque tous les objets qui forment cette multitude existent simultanément. Elle peut être infinie, au contraire, lorsqu’elle est une collection d’objets qui existent les uns après les autres. C’est la thèse que soutinrent Averroès[2] et Moïse Maïmonide[3] .

Il semble que la seconde position prise par Al Gazâli dût être adoptée d’emblée par tous les philosophes chrétiens ; la négation de tout infini actuel, même pour une collection d’objets qui existent successivement, exigeait que le Monde eût commencé et, donc, qu’il eût été créé ; dès lors, les âmes des défunts étaient en nombre fini ; la survie individuelle de ces âmes ne soulevait pas d’objection.

Mais bientôt, l’influence des philosophes et, particulièrement, de Maïmonide, fit surgir une opinion dont saint Thomas d’Aquin se fit l’ardent défenseur : Le Monde a eu commencement ; c’est un dogme que la foi nous enseigne ; mais la raison est impuissante à le démontrer ; toutes les preuves que l’on en prétendrait donner sont forcément sans valeur.

Dès lors, il est bien vrai, en fait, que, depuis le commencement du Monde, le ciel n’a accompli qu’un nombre fini de révolutions ;

  1. Algazelis Destructio philosophiæ in Averrois Cordubensis Destructio destructionum philosophiæ Algazelis ; Disputatio prima, 6e : Ait Algazel.
  2. Avehïums Cordubensis Destructio destructionum philosophiæ Algazelis, Disputatio prima ; Réponse au 6e ait Algazel.
  3. Moïse ben Maimoun dit Maïmonide, Le Guide des Égarés, trad. S. Munk, Première partie, Ch. LXXIII, art. XI, t. I, pp. 413-416 ; Ch. LXXIV, t. I, pp. 435-438.