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LE LIEU

Que Pierre d’Auvergne, d’ailleurs, ait exactement saisi la pensée qui hantait l’esprit d’Albert le Grand au moment où il citait l’exemple du mouvement du compas, nous en aurons la preuve, car nous allons retrouver cette même pensée en divers autres écrits de l’Évêque de Ratisbonne.

Nous la rencontrons tout d’abord en son traité du Ciel[1].

Comme l’avait fait Aristote, Albert, cherche la raison pour laquelle la sphère céleste tout entière ne se meut pas d’un mouvement unique ; au cours de cette recherche, toujours guidé par l’exemple du Philosophe et du Commentateur, il écrit ces lignes :

« Prenons pour point de départ les conditions requises en vue du mouvement circulaire. Selon ce qui est démontré au livre Du mouvement des animaux, disons qu’aucun corps ne peut se mouvoir circulairement s’il ne se meut sur un autre corps fixe et immobile ; si ce dernier corps se mouvait, le premier ne pourrait décrire un cercle qui demeurât toujours en la même place ; la vertu du corps immobile ajoute à la vertu propre du mobile au moins cette fixité de la trajectoire circulaire. Car aucune des parties de l’orbite qui accomplit sa révolution ne demeure stable, fixe, et privée de mouvement. Les pôles semblent immobiles, mais ils se meuvent en leur lieu, sans passer d’un lieu à l’autre, ni d’une place à l’autre. De même, il est évident que le corps qui se meut en cercle n’est pas de même nature que le corps fixé en son centre. » S’il était de cette nature, en effet, il aurait au centre son lieu naturel, et ses diverses parties y descendraient, ce qu’elles ne font point. « Si donc il faut que tout corps mû circulairement se meuve sur une chose fixe et stable, il faut qu’un corps fixe et immobile se trouve au centre de l’Univers, et ce corps ne peut être que la Terre. »

L’existence et la fixité de la Terre sont ainsi requises par la rotation même des orbes célestes.

Quant aux multiples mouvements des Cieux, Albert, fidèle péripatéticien, leur assigne pour objets la génération et la mort des choses corruptibles qui recèle la région des éléments.

Trois choses concourent à cette génération et à cette corruption : En premier lieu, la perpétuité de l’existence ; en second lieu, l’opposition continuelle de la naissance et de la mort ; en troisième lieu, la variété des formes et des espèces engendrées. De ces trois

  1. Alberti Magni De Cælo et Mundo liber secundus, tract. I, cap. VIII : De causa finali propter quod cælorum motus oportet esse plures.