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LE LIEU

« Mais la sphère céleste la plus élevée n’a pas d’autres parties que des parties juxtaposées… Elle n’a, hors d’elle, aucun corps qui l’embrasse et la contienne… Ses parties juxtaposées n’ont pas plus de lieu que n’en a le ciel lui-même. » Sans doute, le ciel est formé de huit sphères qui se contiennent les unes les autres, en sorte que chacune des sphères intérieures possède un lieu proprement dit ; mais la sphère ultime n’en possède pas ; lors donc qu’on dit : Le ciel est en un lieu par accident, car chacune de ses parties a un lieu proprement dit, on joue sur les mots ; en effet, « en tout ce qu’on prouve ici au sujet du ciel, c’est la sphère supérieure qu’on entend désigner. »

La thèse de Thémistius étant rejetée, Bacon aborde l’examen d’une autre thèse qui, dit-il, « est meilleure[1]. » Cette thèse, la voici : « Le ciel a un lieu ; mais, comme il n’en a pas besoin, on dit qu’il l’a par accident… Ce lieu du ciel, c’en est la surface convexe ultime. » Cette thèse, c’est celle que Gilbert de la Porrée soutenait au Livre des six principes.

À cette thèse, on peut objecter ceci :

« Le lieu se peut séparer du corps logé ; mais l’ultime surface convexe du ciel n’est pas séparable du corps logé qui est le ciel, puisqu’elle en est le terme. »

Cette objection ne paraît pas, à Bacon, absolument irréfutable. « Voici ce qu’on y peut répondre :

» Cette convexité ultime peut être considérée de deux manières différentes. On la peut considérer comme le terme du ciel ; de cette façon, elle n’en est pas séparable et n’en est pas le lieu. On la peut aussi considérée en elle-même, et la définir abstraction faite du ciel, selon son essence et en tant qu’elle est une surface ; de cette façon, elle est le lieu du ciel. »

Mais en dépit de cette riposte, Bacon ne croit pas que la position de Gilbert de la Porrée puisse être tenue pour véritable. En effet, « tout corps du monde a, semblablement, une surface qui, par son essence et sa définition, est distincte de ce corps ; cependant, on ne peut pas dire que cette surface soit le lieu de ce corps. Il est donc également faux que le ciel ait un lieu pour cette même raison. »

Notre auteur arrive enfin à la solution qui recevra son adhésion[2] ; c’est la solution vraiment péripatéticienne, la solution

  1. Roger Bacon, loc. cit. ; ms. cit., fol. 46, col. d.
  2. Roger Bacon, loc. cit. ; ms. cit., fol. 47, col. a.