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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

l’obstacle auquel s’était heurté Aristote ; en vertu de cette définition, le dernier ciel n’a pas de lieu ; comment donc peut-il se mouvoir ? Averroès nous a conserve la réponse qu’Ibn-Sinâ (Avicenne), donnait à cette embarrassante question[1].

Selon Ibn-Sinâ, la révolution d’une sphère sur elle-même n’est pas le transport d’un lieu dans un autre ; c’est un mouvement sur place ; pour qu’un corps puisse être animé d’un tel mouvement sur place, il n’est pas nécessaire qu’il soit en un lieu ; le huitième ciel, donc, n’est en un lieu ni par lui-même, ni par accident ; il peut cependant tourner sur lui-même.

Averroès n’a point de peine à mettre à nu l’erreur d’Avicenne ; la sphère qui tourne sur elle-même peut être partagée en onglets, et chacun de ces onglets, au cours du mouvement, passe sans cesse d’un lieu dans un autre.

Le problème du lieu de la huitième orbite, si embarrassant pour les péripatéticiens, a été pour Avempace (Ibn Badjnâ) l’occasion de développer une curieuse théorie, Averroès, qui nous fait connaître[2] cette théorie, pense qu’Avempace la tenait d’Al-Farabi, qui l’avait lui-même imaginée pour réfuter Jean Philopon.

Cette théorie, en tous cas, porte, très nette, la marque de l’influence de Thémistius. Thémistius, nous le savons, concevait le logement de la huitième orbite d’une tout autre façon que le logement des autres corps de l’Univers. Chacun de ceux-ci a pour lieu le corps qui l’environne ; la huitième sphère, au contraire, a pour lieu le corps qui est contenu à son intérieur, c’est-à-dire l’orbe de Saturne.

Cette opposition, légèrement transformée, est le point de départ de la doctrine que développe Avempace.

En cette question du lieu, il faut nettement distinguer, selon lui, deux catégories de corps.

D’une part, sont les éléments soumis à la génération et à la corruption, dont le mouvement naturel est un mouvement rectiligne, centripète ou centrifuge. D’autre part, sont les sphères célestes, corps éternels dont le mouvement naturel est un mouvement de rotation uniforme.

La ligne droite n’est pas, comme le cercle, une ligne achevée en soi, dont rien ne peut être retranché, à laquelle rien ne peut être ajouté ; elle peut être raccourcie ou prolongée. Dès lors, pour borner le mouvement d’un élément générable et corruptible, il faut

  1. Averrois Cordibensis Commentaria magna in octo libros Aristolelis de physico auditu ; lib. IV ; summa prima : De loco ; cap. IX ; comm. 45.
  2. Averrois Op. laud., lib. IV, summa prima, cap. IX, comm. 43.