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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

ces deux questions, fort, mal ordonnées, l’auteur énumère diverses objections, plus ou moins valables, contre l’infini actuel. Il présente également[1], en laveur de cet infini, le fameux argument de Grégoire de Rimini : En toute partie proportionnelle d’une heure, Dieu pourrait créer une pierre d’un pied cube. Mais il ne fait aucune allusion à ce que Buridan et Albert de Saxe avaient objecté à cet argument. De toute cette discussion, la rigueur logique, qui donne tant de netteté aux argumentations de Buridan et d’Albert, a complètement disparu ; on ne distingue même plus entre les propositions syncatégoriques et les propositions catégoriques ; il semble bien que l’auteur ait toujours en vue l’infini catégorique.

Si la discussion est vague et hésitante, les conclusions sont singulièrement nettes et audacieuses. Ces conclusions, les voici[2] :

« Première conclusion : En fait, il existe une ligne courbe infinie. » Telle la ligne hélicoïdale considérée par Buridan et par ses successeurs.

« Seconde conclusion : En fait, il existe une surface infinie. On le prouve en imaginant une surface qui entoure les diverses parties proportionnelles d’un continu d’une manière analogue à celle que l’on a imaginée pour la ligne.

» Troisième conclusion : Il est possible qu’un corps infini existe d’une manière actuelle. Aristote n’a pas admis cette conclusion, et cela parce qu’il n’a pas conçu une puissance active infinie, tandis que, par la foi, nous croyons à l’existence d’une telle puissance. Cette troisième conclusion ne peut pas être prouvée si ce n’est par ce fait qu’en la supposant vraie, on n’est conduit à aucune conséquence impossible ou contradictoire. C’est ce que l’on verra clairement en résolvant les objections qui seront faites, et cela de la manière suivante : De chacune d’elles, on montrera ou bien que le raisonnement n’est pas concluant ou bien que la conclusion n’a rien d’impossible.

» Mais existe-t-il, en fait, un corps actuellement infini, oui ou non ? Un tel corps peut-il être produit par une puissance naturelle ? C’est ce qu’on verra en la question suivante. »

La réponse ainsi annoncée par Marsile est, en effet, donnée par lui à la fin de sa Xe question, et cela dans les termes suivants :

« Il n’existe en fait, et d’une manière actuelle, aucun corps de volume infini. Toutefois, cette proposition ne saurait être démontrée ; on peut seulement dire en sa faveur qu’elle s’accorde mieux

  1. Marsilii Inguen Op. laud., lib. III, quæst. IX.
  2. Marsile d’Inghen, loc. cit.