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L’INFINIMENT GRAND

» Il est impossible qu’une puissance quelconque produise une pierre d’un pied cube en toute partie proportionnelle de l’heure qui va venir ; cela est évident, car cela n’est pas plus possible que de diviser un continu en deux parties proportionnelles pendant chaque partie proportionnelle de l’heure… La proposition est donc contraire à ce qui a été démontré précédemment… Il ne peut donc exister de grandeur infinie actuelle… Si elle était possible, en effet, elle pourrait surtout être produite de la sorte : Dieu créerait une pierre d’un pied cube en tout partie proportionnelle d’une heure ; or cela ne peut être, d’après ce qui vient d’être dit. »

Que l’on n’aille pas, d’ailleurs, faire cette objection : En une partie proportionnelle quelconque de l’heure, Dieu peut, faire une pierre d’un pied cube ; il peut donc créer de telles pierres en toutes les parties proportionnelles de l’heure. Il ne serait pas exact de prétendre ici que la vérité de chacune des propositions singulières entraîne la vérité de la proposition universelle ; « cela est exact dans le cas où ces propositions singulières sont toutes les propositions singulières qui correspondent à la proposition universelle ; c’est ce qui n’a pas lieu ici. »

« Un corps infini ne peut donc être produit par la puissance divine que si l’on prend le mot : infini au sens syncatégorique. »

Mais, chose étrange, cette conclusion est immédiatement suivie d’une autre conclusion qui contredit non seulement l’enseignement de Jean Buridan, mais encore toutes les raisons qui viennent d’être données ; la voici :

« Il existe de fait une courbe infiniment longue ; cela est rendu évident par la ligne hélicoïdale. — Infinita longitudo de facto est ; patet de linea gyrativa. »

Cette dernière phrase indique déjà, en l’opinion de Marsile d’Inghen, une pente vers la doctrine soutenue par Grégoire de Rimini. Cette pente se marque davantage dans les Questions sur la Physique rédigées par le même Marsile. En ces Questions qui sont probablement très postérieures à l’Abrégé. Marsile montre souvent, à l’égard de ses maîtres de Paris, Jean Buridan et Albert de Saxe, bien plus d’indépendance qu’en l’Abrégé. C’est ce qui a lieu, en particulier, au sujet du problème de l’infini.

À ce problème, Marsile consacre deux questions[1] destinées à examiner Si une grandeur infinie peut être actuellement réalisée, et Si, de fait, un corps infini existe actuellement dans la nature. En

  1. Questiones subtilisssime Johannis Marcilii Inguen super octo libros physicorum secundum nominalium viam ; Lugduni, maj ; lib. III, quæstt. IX et X.