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L’INFINIMENT PETIT ET L’INFINIMENT GRAND

d’autre part, nous n’avons pas besoin de démontrer que des choses sont en nombre fini, sinon pour celles qui sont causes par essence. »

Ce qu’Avicenne avait dit, en diverses circonstances, au sujet de la possibilité d’une multitude actuellement infinie, Al Gazâli l’a réuni et il s’efforce de le coordonner en un système.

Dans ce but, il distingue entre des choses que leur nature même range dans un ordre déterminé, telles des choses dont chacune est effet de la précédente et cause de la suivante, et des choses dont l’ordre est purement accidentel, en sorte que cet ordre pourrait être changé sans que la nature de ces choses le fût aucunement. Des choses qui sont hiérarchisées suivant un ordre essentiel, la multitude ne peut, en aucun cas, être actuellement infinie. Il en est encore de meme des choses qui, sans être essentiellement hiérarchisées, ont, entre elles, un ordre de situation, de telle sorte qu’elles se trouvent placées en deçà ou au delà les unes des autres. Il n’en est pas de même des choses qui ne se peuvent ranger suivant aucun ordre de nature ni de situation.

« L’être, écrit Al Gazâli[1], se divise en être fini et être infini.

» On dit de quatre manières que l’être est infini ; de ces quatre manières, il y en a deux qui sont et deux qui ne sont pas, comme on le reconnaît par le raisonnement.

» On dit, en effet, que le mouvement du ciel n’a ni commencement ni fin, et cela a déjà été démontré.

» On dit également qu’il y a une infinité d’âmes humaines qui ont été séparées de leur corps ; et cela est nécessairement vrai si l’on refuse la finitude au temps et au mouvement du ciel, ce que l’on fait en leur refusant un commencement.

» La troisième manière est, par exemple, celle selon laquelle on dit qu’il existe un corps ou un espace infini depuis le haut jusqu’en bas ; mais cela est faux.

» La quatrième manière a lieu lorsqu’on dit que la suite des causes est infinie, parce qu’une chose a une cause, que cette cause, à son tour, a une cause et que l’on ne parvient jamais, de la sorte, à une première cause qui n’ait pas de cause ; mais cela aussi est faux.

» Le sens de ces affirmations est que nous ne pouvons concevoir l’infinitude d’une multitude de choses coexistantes qui aient, par

  1. Philosophia Algazelis, lib. I, tract. I, sexta divisio de ente in finitum et infinitum. Cap. undecimum. Impensis Petri Liechtensteyn, An no 1506, Venetiis, fol. d 2, col. d, et fol. d 3, col. a. — Le texte de ce passage est extraordinairement fautif : un est souvent obligé de deviner le sens au lieu de traduire.