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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

VI
PARTISANS DE GRÉGOIRE DE RIMINI : NICOLE ORESME
ET MARSILE D’INGHEN


La vigoureuse argumentation de Buridan à l’encontre de la doctrine de Grégoire de Rimini a pleinement convaincu Albert de Saxe ; elle n’a pas aussi complètement entraîné l’adhésion d’autres maîtres parisiens qui ont continué de suivre soit d’une allure décidée, soit avec des réticences, l’opinion du prieur général des Ermites de Saint Augustin.

Dans le Traité du Ciel et du Monde, rédigé en français sur l’ordre de Charles V, Nicole Oresme fait mention des questions qu’il avait examinées au sujet de la Physique d’Aristote et de l’écrit qu’il avait composé sur les Sentences. Chacun de ces deux ouvrages nous eût, sans doute, enseigné d’une manière formelle ce que l’auteur pensait de l’infini catégorique ; malheureusement, ni l’un ni l’autre de ces ouvrages ne nous est parvenu.

Ce que nous trouvons dans les livres d’Oresme qui nous ont été conservés, c’est seulement la solution de quelques problèmes cruciaux relatifs à l’infini ; de cette solution, qui est plutôt exercice de mathématicien, il est peut-être malaisé de conclure les opinions philosophiques de l’auteur ; il semble cependant qu’Oresme y parle le langage d’un disciple de Grégoire de Rimini, d’un partisan de l’infini catégorique.

Ces problèmes, Oresme les avait imaginés et résolus tout d’abord en l’important ouvrage qui est intitulé : De difformitate qualitatum. Il les a repris ensuite en son Traité du Ciel et du Monde. Nous les citerons d’après ce dernier ouvrage, en conservant le pittoresque français de l’Évêque de Lisieux.

Au premier livre du De Cælo, Aristote oppose diverses raisons de Physique à la possibilité d’un corps infini. Un corps infini, dit-il, serait infiniment pesant, ce qui lui paraît inadmissible.

« Mes il me semble, déclare Oresme[1], que la raison dessus mise ne est pas évidente sans supposer autre chose. Car, selon la seconde response, Je met que un corps soit infini, et pren en

  1. Nicole Oresme, Traité du Ciel et du Monde, Livre I. « En le XI chapitre, il monstre que nul corps mouvable de mouvement droit ne puet estre infini, » Bibliothèque Nationale, fonds français, ms. no 1083, fol. II, col. d. Cf. : Nicole Oresme, Tractatus de difformitate qualitatif, Pars III, cap. 13. Bibliothèque Nationale, fonds latin, ms. no 7371, fol. 265, vo, et fol. 266, ro.