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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

tem proportionalem alicujus horæ) ; et cependant, il faudrait pouvoir assigner la pierre qui a été faite la dernière, et cette pierre ne serait pas la dernière créée si elle n’avait pas été créée dans la dernière moitié proportionnelle. »

L’argumentation repose tout entière sur l’axiome formulé par Burley, employé par Buridan dans sa Physique : Lorsqu’on divise une grandeur donnée en parties proportionnelles, il n’y a aucune partie proportionnelle qui soit la dernière. Buridan et Albert étaient arrivés à donner à cet axiome une forme plus pénétrante et plus générale : Quand on divise à l’infini, par un procédé quelconque, une grandeur donnée, il n’y a pas de parties dont on puisse dire qu’elles sont toutes les parties de cette grandeur. « Nullæ sunt infinitæ et nullæ sunt omnes, sive sumamus : omnes collective sive distributive », disait Buridan. « Nec omnes sunt aliquæ, nec aliquæ sunt omnes », disait-il encore. « Nullæ partes sunt omnes partes proportionales columnæ », répétait Albert de Saxe.

C’est donc là le principe qu’invoquent également Buridan et Albert de Saxe pour réfuter les arguments produits en faveur de l’infini catégorique. Aussi pouvons-nous saisir fort nettement le point essentiel de la controverse soulevée entre ces auteurs et Grégoire de Rimini.

Imaginons que l’on connaisse une règle propre à diviser une certaine grandeur finie en une infinité de parties ; la division en parties proportionnelles fournit l’exemple d’une telle règle.

Grégoire de Rimini pose l’affirmation suivante : Se donner la grandeur dont il s’agit, c’est se donner toutes les parties en lesquelles la règle considérée a pour effet de la diviser. Ainsi durer une heure, c’est durer toutes les parties proportionnelles de cette heure.

Jean Buridan et Albert de Saxe répondent : Lorsqu’on donne la grandeur en son entier, il n’est pas permis de dire qu’on donne toutes les parties en lesquelles la règle considérée subdiviserait cette grandeur, car cette expression est dénuée de sens ; il n’y a pas de parties dont on puisse dire qu’elles sont toutes les parties de la grandeur donnée.

Tout le débat se résume en ces deux thèses opposées ; selon qu’on tient pour l’une ou l’autre d’entre elles, on se voit obligé d’en accepter toutes les conséquences, de croire, avec Grégoire de Rimini, à la possibilité de la grandeur infime catégorique, ou bien, avec Buridan et Albert de Saxe, de nier cette possibilité pour n’admettre que l’infini syncatégorique.

N’allons pas dire, d’ailleurs, que le débat dont il s’agit est