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L’INFINIMENT GRAND

sens composé, qui est faux. Chacune des propositions singulières est vraie et compatible avec chacune des autres, mais elles ne sont pas toutes compossibles, elles ne peuvent pas se trouver vérifiées toutes en même temps, en sorte que la proposition universelle catégorique est fausse.

Une argumentation analogue sert à montrer l’erreur de ceux qui croyaient réaliser une longueur catégoriquement infinie à l’aide d’une ligne hélicoïdale. Albert de Saxe accorde bien que cette courbe, si elle était tracée, serait de longueur infinie ; mais elle ne peut pas être tracée en entier ; il faudrait, en effet, pour qu’elle fût terminée, que ses spires embrassent toutes les parties proportionnelles du cylindre ; or, « il n’existe pas de parties qui soient toutes les parties proportionnelles du cylindre — nullæ partes sunt omnes partes proportionales columnæ. »

Touchant le problème qui nous occupe, les Quæstiones super libris de Cælo, rédigées d’après l’enseignement de Buridan, tiennent le même parti que Buridan et qu’Albert de Saxe ; mais en épousant l’avis de ces deux philosophes, l’auteur de ces reportata n’en a gardé ni la clarté ni la précision.

Il rapporte[1] la preuve que quelques-uns s’efforcent de donner en faveur de cette proposition : Dieu peut, en une heure, créer un corps catégoriquement infini. « En effet, dans chacune des moitiés proportionnelles de cette heure, Dieu peut créer un corps d’un pied cube, et conserver tous ces corps ensemble ; dès lors, comme, en cette heure, il y a une infinité de moitiés proportionnelles, il en résulte qu’à la fin de l’heure, il y aurait une infinité de corps d’un pied cube qui constitueraient un corps infini. »

L’auteur des Quæstiones veut montrer que cette imagination implique contradiction.

« Je déclare, dit-il, qu’il faut accorder qu’une pierre est faite la dernière ; car toutes ces moitiés proportionnelles se suivent dans un certain ordre, l’une précédant l’autre ; deux d’entre elles n’existent pas en même temps, ne commencent pas en même temps, ne finissent pas en même temps ; partant, il n’y a pas deux de ces pierres qui soient faites en même temps ; de deux quelconques d’entre elles, il en est une qui est faite après l’autre. »

Dès lors, le procédé précédemment décrit « implique contradiction »… car on ne peut assigner la dernière moitié proportionnelle d’une heure quelconque (non est dare ultimam medieta-

  1. Johannis Buridani Quæstiones super libris de Cælo et Mundo ; lib. I, quæst. XVI : Utrum possibile est esse unum corpus infinitum, Bibl. Royale de Munich, Col. lat. 19551, fol. 77, col. d.1