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L’INFINIMENT GRAND

Buridan refuse donc de voir, en la ligne hélicoïdale qui a été définie, un exemple de longueur catégoriquement infinie. Tout ce qu’il accorde[1], c’est, qu’au sens syncatégorique, « il y a une ligne hélicoïdale de longueur infinie, car une quelconque de ces lignes étant donnée, il en existe une plus longue. » Mais encore convient-il, en cette proposition, de s’entendre très exactement sur le sens des termes employés. Cette proposition[2] : Une ligne hélicoïdale est, au sens syncatégorique, infinie en longueur, sera fausse si l’on prend ce terme : Une ligne, avec une signification entièrement déterminative qui exclue toute notion de collectivité, « Alors, en effet, cette proposition devrait s’entendre d’une ligne bien déterminée, désignée ou susceptible de l’être ; il résulterait de cette proposition que cette ligne serait plus longue qu’elle-même, ce qui est impossible. Sans doute, à toute ligne hélicoïdale donnée, en correspond une plus longue ; mais il n’y a pas une certaine ligne hélicoïdale [toujours la même] qui soit plus longue que toute ligne donnée. »

Ce passage donne une idée de la précision que Buridan sait introduire en de telles discussions. Qui reprocherait à cette précision un excès de minutie se montrerait bien mal préparé à l’examen de tels problèmes.

Ce que Jean Buridan a dit au sujet de la ligne hélicoïdale nous annonce ce qu’il va dire[3] d’une autre question à laquelle Grégoire de Rimini a répondu affirmativement : Dieu peut-il, en créant une pierre d’un pied cube en chacune des parties proportionnelles d’une heure, produire, en la durée de cette heure, une grandeur catégoriquement infinie ?

Il semble, en effet, qu’à cette question, on soit tenu de répondre affirmativement. « Toutes les propositions singulières sont possibles[4] et compossibles ; la proposition universelle doit donc pouvoir être réalisée. Je réponds que la conclusion ne résulte pas des prémisses. Mais ce qui est véritable, c’est ceci : Il est possible en même temps que toutes les propositions singulières soient vraies et il est impossible que toutes les propositions singulières soient vraies en même temps. Jamais, en effet, en matière de possibilité, il n’est légitime de conclure d’une proposition universelle prise au sens divisé à cette même proposition universelle prise au sens composé. »

  1. Johannis Buridani Op. laud., lib. III, quæst. XVIII, fol. lxi, col. b.
  2. Jean Buridan, loc. cit., fol. lxii, col. b.
  3. Johannis Buridani Op. laud., lib. III, quæst. XIX.
  4. Jean Buridan, loc. cit., fol. lxv, col. a.