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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

forme d’intensité variable, de la chaleur, par exemple, qui passe, en une heure, d’un degré à un autre degré.

Les objections que l’on peut élever contre le procédé par lequel Dieu pourrait, en une heure, créer un corps infiniment grand, une surface d’aire infinie, une forme d’intensité infinie, on pourrait tout aussi bien les élever contre les propositions qui viennent d’être formulées ; dans les deux cas, elles peuvent être dissipées d’une manière analogue.

Ces objections que Buridan, qu’Albert de Saxe feront valoir, elles se tirent toutes d’un même principe : Si l’on suppose un continu divisé en parties proportionnelles, il n’est pas permis de dire que l’on prend toutes les parties proportionnelles de ce continu, parties dont la multitude est infinie, car il faudrait qu’une de ces parties ait été prise en dernier lieu, « et il n’y a[1] aucune partie proportionnelle qui soit la plus petite ni la dernière. »

Ce principe, Grégoire de Rimini en admet l’exactitude, mais à condition qu’il soit pris au sens syncatégorique (distributive). Et, comme il l’a montré, cette condition en implique une autre ; c’est que les parties successives du continu soient supposées prises en des temps égaux. Si l’on ne se soumet plus à cette condition, ce principe ne pourra plus être invoqué. À des propositions qui, prises au sens syncatégorique, distributif, seraient fausses, peuvent correspondre des propositions qui sont vraies au sens catégorique, collectif.

Si l’on considère un infini et des parties finies de cet infini, au sens distributif, « il est impossible[2] que toutes les parties de l’infini puissent être prises toutes ensemble ; quel que soit, en effet, le nombre des parties déjà prises et de quelque manière qu’elles aient été prises, elles sont, toujours les parties d’un tout qui les comprend, qui a, par conséquent, hors d’elles, une partie ou d’autres parties. Les parties qui ont été prises de la sorte ne sont donc pas toutes les parties de cet infini. La proposition énoncée est fausse au sens propre [distributif]. Il en est de même de ces autres propositions : Toutes les parties, prises simultanément, forment le tout ; le tout est identique à toutes ses parties prises simultanément. Et cependant, ces propositions sont vraies : L’ensemble des choses [omnia, par opposition à : omnes partes] dont chacune est une partie de ce tout, constitue ce tout. Inversement, ce tout est

  1. Gregoire de Rimini loc. cit., éd. Claude Chevallon, fol. clxxviij, col. c ; éd. Venetiis, 1518, fol. 155, col. a.
  2. Gregoire de Rimini loc. cit., éd. Claude Chevallon, fol. clxxxj, col. a ; éd. Venetiis, 1518, fol. 157, col. c.