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L’INFINIMENT GRAND

l’on ne donnerait ni première partie de la durée ni première partie de l’infini à franchir. » Et c’est ce qu’Aristote lui-même est obligé de concéder, comme Jean de Bassols en avait fait l’observation ; si le Monde a existé de toute éternité, une infinité d’hommes ont vécu jusqu’à ce jour et le ciel a effectué une infinité de révolutions.

« On dit[1] : L’infini est une chose telle que lorsqu’on en a pris une partie quelconque, il reste encore et toujours une partie à prendre ; je réponds que cette proposition doit être entendue comme la précédente, en admettant que les parties prises successivement sont toutes de même grandeur et qu’elles sont toutes prises en des temps égaux. Si l’on prend, en effet, en tant de temps, une partie d’un infini, puis, dans un temps égal à celui pendant lequel la première partie a été prise, une partie égale à celle-là, et si l’on continue en procédant toujours de même, il restera toujours, de cet infini, quelque chose à prendre et jamais il ne se trouvera pris en totalité… Mais dès là que des parties égales de l’infini ne sont pas franchies ou prises en des temps égaux, mais en des durées qui décroissent en progression géométrique,… il n’y a plus d’inconvénient à ce que l’infini puisse être pris en totalité, à moins qu’il n’y ait à cela quelque obstacle d’autre nature ; de même qu’il n’y a aucun inconvénient à ce que la multitude infinie des parties du temps en lesquelles sont prises, comme nous l’avons dit, les parties successives de l’infini, arrivent à être complètement passées ; non seulement il n’y a pas inconvénient à ce que cela soit, mais il est nécessaire que cela soit. »

Pour Grégoire de Rimini, donc, la possibilité de l’infini catégorique ne soulève pas plus de difficulté logique que la proposition suivante : Si l’on considère cette suite infinie de durées : Une demi-heure, un quart d’heure, un huitième d’heure, etc., au bout d une heure, la multitude infinie de ces durées a été franchie.

Des affirmations analogues peuvent, d’ailleurs, être formulées non seulement pour la durée, mais encore pour une foule de grandeurs variables ; si, par exemple, un chemin a été parcouru par un mobile en une heure, on peut diviser cette heure en parties proportionnelles de raison sous-double et considérer les trajets parcourus pendant chacune de ces parties proportionnelles de la durée ; au bout d’une heure, la multitude infinie de ces trajets a été complètement parcourue.

On peut répéter des considérations analogues au sujet d une

  1. Grégoire de Rimini, ibid.