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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Cet argument qui, sans invoquer d’aucune manière l’éternité du Monde, conclut à la possibilité de l’infini catégorique, était appelé à jouir, dans les écoles, de la plus grande vogue. Les partisans du seul infini syncatégorique, comme Jean Buridan et Albert de Saxe, le regarderont comme l’arme la plus redoutable de leurs adversaires. Grégoire de Rimini en est-il l’inventeur ? Nous l’ignorons. Du moins voyons-nous qu’il en use à plusieurs reprises et qu’il l’applique à des infinis de nature très variée. Tantôt, il montre[1] comment Dieu peut, de la sorte, réaliser un rectangle de base invariable et de hauteur catégoriquement infinie. Tantôt, il prouve[2] que Dieu peut créer in facto une charité infinie ; car il admet, avec Richard de Middleton et Guillaume d’Ockam, que toute forme susceptible de différentes intensités, que la charité aussi bien que la chaleur, atteint ses divers degrés par addition les unes aux autres de parties de même nature.

Ces exemples, où nous voyons Dieu donner à un infini une existence actuelle, ne servent pas seulement à convaincre d’erreur l’opinion selon laquelle l’infini est, par essence, quelque chose d’inachevé, un mélange d’acte et de puissance ; ils mettent encore à nu la cause de cette erreur,

« Lorsqu’on dit[3] : L’infini est une chose dont le parcours ne peut jamais être consommé, je réponds : Il faut entendre qu’il en est ainsi si les parties infiniment nombreuses de cette chose sont acquises en des durées égales entre elles ; si, par exemple, chacune des parties de cet infini est acquise au bout d’une heure ou bien d’un moment ou bien d’une certaine autre quantité de temps bien déterminée, Dans ce cas, en effet, il faudrait que ce temps eût une infinité de parties égales entre elles et, par conséquent, qu’il fût infini. Comme, d’ailleurs, il est impossible qu’un temps infini dont la première partie est donnée devienne temps passé, un infini ne saurait être, par ce moyen, consommé en totalité ou franchi complètement.

» Mais cela suppose qu’il existe, en cet infini, une première partie franchie ou acquise… Si l’on fait attention à cette remarque, » — que nous avons déjà entendue de la bouche de Robert Holkot — a on voit que cette impossibilité cesserait dès là que

  1. Gregorius de Arimino In primo Sententiarum, Distt. XLII,, XLIII et XLIV, quæst. IV, art. II ; éd. Claude Chevallon, fol. clxxviij, col. d ; éd. Venetiis, 1518, fol. 155, col. c.
  2. Gregoire de Rimini loc. cit., art. I ; éd. Claude Chevallon, fol. clxxvij, col. c ; éd. Venetiis, 1518, fol. 155, col. b.
  3. Gregoire de Rimini loc. cit., art. II ; éd. Claude Chevallon, fol. clxxxx, col. c ; éd. Venetiis, 1518, fol. 157, col. a.