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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

» Si l’on adopte la première définition, les mots : plus grand, plus petit, ne doivent pas être employés dans la comparaison des infinis les uns avec les autres ; on ne doit les employer qu’en la comparaison des grandeurs finies entre elles ; on peut dire encore qu’un infini est plus grand qu’une grandeur finie et qu’une grandeur finie est plus petite qu’un infini.

» Selon la seconde définition, au contraire, un infini peut être plus grand qu’un autre infini, de même qu’il peut être un tout à l’égard de ce second infini, en prenant le mot tout au premier sens.

» Les deux manières d’entendre tout et partie se comportent l’une à l’égard de l’autre de la manière suivante : Toute chose qui est tout ou partie de la seconde manière est aussi tout ou partie de la première manière, mais la réciproque n’est pas universellement vraie.

» Il n’en est pas de même des mots : plus grand, plus petit, pris des deux manières qui viennent d’être définies. En effet, une multitude qui contient un plus grand nombre d’unités (plures unitates) qu’une autre ne contient pas toujours les unités que contient cette dernière ; une dizaine d’hommes qui sont à Paris contient autant et plus d’unités qu’un sexterne ou un quaterne de chevaux qui sont à Rome ; elle ne comprend cependant pas ces chevaux ; il n’est donc pas vrai que tout ce qui est plus grand au premier sens soit aussi plus grand au second sens. D’autre part, ce qui est plus grand au second sens n’est pas toujours plus grand au premier sens : cela se voit avec évidence lorsque l’on compare une multitude infinie à une autre multitude infinie que contient la première. »

Ces principes permettent à Grégoire de Rimini de dissiper, mieux que ne l’avait fait Jean de Bassols, les objections accumulées contre la possibilité de l’infini actuel.

Après avoir analysé les efforts par lesquels notre subtil logicien a tenté de préciser la signification dont les mots : tout, partie, plus grand, plus petit sont susceptibles lorsqu’il s’agit de grandeurs ou de multitudes infinies, il est piquant de lire les premières pages de la Théorie des ensembles transfinis de M. Georges Cantor[1]. Une évidente affinité rapproche l’une de l’autre les pensées de ces deux puissants logiciens, alors que cinq siècles et demi séparent les temps où ils ont écrit.

  1. Georges Cantor, Sur les fondements de la théorie des ensembles transfinis ; traduction de M. F. Marotte, Premier Article (Mémoires de la Société des Sciences physiques et naturelles de Bordeaux, 5e série, t. III, pp. 343 sqq. ; 1889).