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L’INFINIMENT PETIT ET L’INFINIMENT GRAND

rique… En outre, l’impossibilité de trouver l’infinitude dans ce qui est en acte est un principe connu par les opinions des philosophes, que les objets considérés soient des corps ou ne soient pas des corps ; on ne trouve personne qui, à ce sujet, fasse distinction entre ce qui a situation et ce qui n’a pas situation, si ce n’est le seul Avicenne ; parmi tous les autres, je n’en ai rencontré aucun qui tienne ce langage ; … car les philosophes nient tout infini en acte, qu’il soit corps ou ne soit pas corps ; car de l’existence d’un tel infini il résulterait qu’un infini peut être plus grand qu’un autre infini. Avicenne a l’intention de flatter le vulgaire au sujet de ce que l’on entend communément dire de l’âme ; mais son discours est bien insuffisant et de piètre astuce… »

Pour concilier l’éternité supposée du Monde et du genre humain avec la survie individuelle de chacune des âmes, Avicenne avait besoin que l’infini actuel fût possible ; sa philosophie réclamait, d’autre part, que cet infini ne fût pas toujours possible ; en effet, elle raisonnait de la sorte : Une chose contingente qui, par elle-même, est simplement possible, tient son existence de quelque cause ; cette cause, à son tour, peut bien tenir son existence de quelque autre cause ; mais dans la hiérarchie de ces causes dont chacune donne 1 existence à celle qui se trouve au-dessous d’elle, on ne peut remonter indéfiniment ; on doit donc parvenir à une cause première qui ne soit causée par aucune autre.

La démonstration de l’existence de la cause première s’appuyait donc à cette majeure : En la hiérarchie des causes, une suite actuellement infinie est impossible ; elle s’écroulerait si l’on admettait sans restriction la possibilité d’une multitude infinie actuelle.

D’autre part, à cette possibilité, quelle restriction convenait-il d’apporter ? Fallait-il purement et simplement en excepter toute suite de causes ? Une exception aussi absolue et aussi large serait inacceptable. Le Monde, en effet, est éternel ; de toute éternité, des générations et des corruptions s’y sont produites ; de toute éternité de l’air s’est transformé en eau, de l’eau s’est changée en air ou en terre. En chacune de ces transformations, la substance corrompue a joué le rôle de cause matérielle à l’égard de la substance engendrée. Dès lors, on peut dire que chacune des substances concrètes qui existent auiourd hui dans le Monde résulte d’une suite de causes matérielles et que cette suite comprend une multitude infinie de causes.

Avicenne n’étendra donc pas à toutes les suites de causes l’impossibilité de la multitude infinie actuelle ; il ne l’étendra pas, en particulier, à ces suites de causes, telles les causes matérielles,