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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

défini. Déjà, Jean de Bassols, pressentant, obscurément cette définition, n’avait pas hésité à admettre toutes ces conclusions, en se refusant à les taxer d’absurdes ; il avait franchement accepté qu’un infini fût plus grand qu’un autre infini, qu’un infini fût partie d’un autre infini. Il savait qu’on pouvait, à ces objections, donner cette réponse : « La comparaison des quantités plus grandes ou plus petites ne peut se faire qu’entre quantités finies. » Mais de cette réponse, « je n’ai cure, » disait-il.

En dépit de l’indifférence avec laquelle elle est traitée par Jean de Bassols, la question vaut la peine d’être examinée. Les mots : plus grand, plus petit, tout, partie, peuvent-ils être légitimement employés lorsqu’il s’agit d’infinis, et ont-ils alors le même sens que lorsqu’il s’agit de quantités finies ? C’est ce que Grégoire de Rimini va examiner avec une extrême sagacité.

La rigueur de notre philosophe s’exerce d’abord au sujet des termes tout et partie[1] : « Ces termes, en effet, peuvent être pris en deux sens différents, au sens commun et au sens propre.

» Au premier sens, une chose quelconque qui comprend une seconde chose et, en outre, une troisième chose distincte de la seconde et de tout ce qui est compris en la seconde, est dite un tout par rapport à cette seconde chose ; et toute chose ainsi comprise dans un tout est dite partie du tout qui la comprend.

» Au second sens, pour qu’une chose soit dite un tout par rapport à une autre chose, il faut non seulement qu’elle comprenne cette autre chose comme le suppose le premier sens, mais il faut encore que le tout comprenne un nombre déterminé de choses de grandeur déterminée (tot tanta) que ne comprend pas la chose incluse ; inversement, une chose incluse est dite partie d’un tout lorsqu’elle ne comprend pas un certain nombre déterminé de choses de grandeur déterminée que comprend la chose en laquelle elle est contenue. »

Ainsi, au sens commun, le tout, c’est la partie et, en outre, n’importe quelle autre chose non contenue dans la partie ; au sens propre, le tout, c’est la partie et, en sus, un certain nombre d’objets de grandeur bien déterminée.

« Appliquons cette distinction aux multitudes, » poursuit Grégoire de Rimini. « Au premier sens, une multitude quelconque est un tout par rapport à une autre multitude lorsque la première multitude contient la seconde, lorsqu’elle comprend, par consé-

  1. Gregorii de Arimino Op. laud., lib. I, distt. XLII, XLIII et XLIV, quæst. IV, art. II ; éd. Claude Chevallon, fol. clxxix, col. b ; éd. Venetiis, 1518, fol. 155, col. d.