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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

petit, il ne se rencontre pas davantage de répugnance dans une multitude infinie. »

Que l’on n’imagine pas, d’ailleurs, que la puissance de Dieu soit bornée à la production de la multitude infinie en acte qui le serait seulement d’une manière relative (secundum quid) ; elle s’étend aussi bien à la production de la multitude qui est infinie en acte d’une manière absolue (simpliciter). Bonet a soin de l’affirmer en rappelant[1] comment il a posé, au second livre de sa Théologie naturelle, la distinction de ces deux infinis en acte.

« Voici maintenant la seconde proposition[2] : Le premier Moteur peut produire une grandeur infinie. Prouvons-le :

» La preuve est apparente par notre première proposition. En effet, si une multitude numériquement infinie peut être en acte, il en est de même d’une grandeur. Prouvons la légitimité de cette déduction :

» De cette multitude infinie [d’objets], on peut former une quantité, une grandeur. Or, il est évident que la grandeur qui résulte de cette multitude de quantités partielles, numériquement distinctes, sera une grandeur infinie.

» Je vous en montre un exemple : D’une multitude infinie de lignes de deux pieds, numériquement distincte les unes des autres, par réunion de toutes ces lignes, formons une seule ligne continue ; on voit évidemment que cette ligne-là n’est pas finie, mais bien infinie.

» Cette conséquence-ci est donc nécessaire : Si une multitude infinie de quantités finies (quanta) est possible, une grandeur infinie sera possible. Partant, il peut y avoir un corps de grandeur infinie ; de même, en effet, qu’une ligne infinie peut exister, de même en est-il d’une surface infinie et d’un corps infini. »

À la possibilité de l’infini actuel, nul n’a mis moins de réserves que Nicolas Bonet.

Nicolas Bonet, nous l’avons constaté à plusieurs reprises, est un logicien qui n’hésite jamais à pousser jusqu’au bout les conséquences d’un principe. Il n’a pas apporté de restriction à la possibilité de l’infini actneL Il l’a étendu même aux causes ordonnées d’un ordre essentiel. Cependant, il ruinait par là la preuve de l’existence de l’Être nécessaire qu’Avicenne avait donnée, que Saint Thomas d’Aquin avait adoptée.

  1. Nicolas Bonet , loc. cit., HL ; ms. no 16132, fol. 287, col. d.
  2. Nicolai Boneti Op. laud., lib. VII, cap. XII ; ms. no 16132, fol. 288, Coll. a et b.