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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

bre infini ; elles peuvent donc aussi exister simultanément, car elles sont des êtres permanents dont deux ou trois peuvent coexister.

» Je vous en donne un exemple tiré de l’opinion de ceux qui admettent que le Monde a existé de toute éternité.

» Selon ces philosophes, tel homme, engendré de telle manière, a été précédé d’une infinité d’hommes successifs ; cet homme a été engendré par cet autre, celui-ci par un troisième, et ainsi de suite en remontant à l’infini… D’autre part, il n’y a aucune répugnance à ce que trois, quatre, dix hommes qui ont été engendrés les uns par les autres puissent exister simultanément d’une manière actuelle. Dès lors, il n’y a pas non plus répugnance à ce qu’une infinité d’hommes, à ce que tous les hommes puissent exister simultanément d’une manière actuelle, alors qu’ils sont tous de même nature et que cette nature est celle d’êtres permanents.

» Ainsi, dès là qu’une infinité de causes dont l’ordre est accidentel peuvent exister successivement, elles peuvent exister simultanément. Notre prémisse est prouvée.

» Justifions maintenant le raisonnement que nous avons fait ;

» Des causes dont l’ordre est essentiel sont des êtres permanents tout comme des causes dont l’ordre est accidentel ; si donc la coexistence ne répugne pas à une infinité de causes accidentellement subordonnées, elle ne répugne pas non plus à une infinité de causes subordonnées d’une manière essentielle, »

Après avoir traité de l’infiniment grand dans sa Physique, Bonet reprenait la même question dans sa Théologie naturelle, afin de définir la puissance du premier Moteur ; ici, il ne se montrait pas moins absolu que là dans ses conclusions.

» Qu’il s’agisse de linfini en intensité de force (infinitum virtutis) ou de l’infini en grandeur (infinilum quantitatis molis),. disons[1] les divers sens du mot infini.

» On nomme infini, tout d’abord, l’infini en puissance ; en celui-là, ce qui est déjà pris est toujours fini ; toutefois, ce qui reste à prendre est infini. C’est de cet infini que parle Aristote au troisième livre des Physiques

» D’une seconde manière, on nomme infini l’infini en acte relatif (escundum quid). En cet infini, ce qui est déjà pris n’est pas fini, mais infini ; il en reste cependant quelque chose à prendre, en sorte qu’il n’est pas infini en acte d’une manière absolue (simpliciler).

  1. Nicolai Boneti Theologia naturalis. Lib. II, cap. I ; Bibl. nat. ms. no 16132, fol. 192, coll. c et d, fol. 193, col. a.