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L’INFINIMENT GRAND

très souvent imprimé ; or, en ce commentaire, Thomas enseigne[1] que Dieu peut créer une longueur infinie, un corps infiniment grand. Sa philosophie, un peu courte, ne s’embarrasse pas des distinctions d’infini en acte et d’infini en puissance, d’infini catégorique et d’infini syncatégorique ; de ces distinctions, il ne fait même aucune mention ; mais il est visible que c’est d’infini en acte, d’infini catégorique qu’il entend parler.

À l’appui de l’opinion qu’il soutient, notre auteur ne fait appel à aucun raisonnement bien savant. « Si Dieu, dit-il, faisait une longueur infinie et qui n’eût point de terme, cette longueur n’en aurait pas moins la nature de la ligne, qu’une ligne qui est terminée et qui est enfermée entre deux points. Il n’est donc pas de la nature de la ligne, en tant que ligne, qu’elle soit bornée en longueur ; c’est seulement de la nature de la ligne en tant qu’elle est finie. De même, être borné en longueur, largeur et profondeur n’est pas de la nature du corps, en tant que corps, bien que ce soit de la nature du corps, en tant qu’il est fini. »

Thomas ne s’attarde pas, non plus, à éclaircir les nombreuses obscurités qui se rencontrent en la notion d’infini catégorique. Un peu auparavant, toutefois, il avait touché un mot de quelques-unes de ces difficultés, lorsqu’il avait enseigné que le Monde eût pu être créé de toute éternité[2]. Il avait rencontré alors cette objection : Si le Monde avait existé de toute éternité, le nombre des révolutions accomplies jusqu’aujourd’hui par la Lune et le nombre des révolutions du Soleil seraient tous deux infinis, et cependant, le premier de ces deux nombres serait plus grand que le second. À cette objection classique, Thomas de Strasbourg donnait une réponse qui semble avoir été non moins classique à ce moment-là :

« Sans doute, à l’infini, en tant qu’infini, on ne peut rien ajouter ; mais si un infini est fini par un certain côté, il peut, de ce côté-là, recevoir addition… En un tel infini, qui est fini d’un certain côté, on peut introduire les considérations de plus grand et de plus petit, non en raison de son infinitude, mais en raison de sa finitude. »

Avec Grégoire de Rimini, nous aurons affaire à un logicien d’une autre trempe.

Il semble que, vers le temps qui précéda immédiatement

  1. Thomæ ab Argentina Eremitarum Divi Augustini Prioris generalis Commentaria in quatuor libros Sententiarum ; lib. I, dist. I, art. IV : Utrum Deus sua virtuta infinita aliquod infinitum producere possit.
  2. Thomæ ab Argentina Op. laud.., lib. II, dist. art. II : Utrum Mundus ab æterno esse potuerit.