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L’INFINIMENT GRAND

tude dames, qui serait infinie et en acte, » ce qui est absurde.

« Cette conséquence relative à l’existence actuelle d’une multitude d’âmes peut être accordée, » répond Holkot, « pourvu que l’on distingue entre l’existence actuelle et l’existence réelle et véritable en ce monde-ci. En tout continu, par exemple, il y a une infinité de parties qui se distinguent les unes des antres par leur situation… ; et cependant l’ensemble de ces parties constitue un tout unique. Aussi Aristote, au troisième livre des Physiques, nomme-t-il cette multitude infinie une multitude en puissance, parce qu’en son langage, toute chose qui fait partie d’une autre est dite exister en puissance. » Et Holkot de tourner en dérision cette théorie d’Aristote ; à l’en croire, le Soleil n’existerait qu’en puissance, car il fait partie de son orbite. « Je crois toutefois, ajoute notre auteur, qu’en la philosophie d’Aristote, il ne saurait exister de multitude infinie en acte. »

À l’éternité du Monde, on peut encore faire cette objection : « Il est contradictoire que quelque chose puisse surpasser l’infini ; or si le Monde avait existé de toute éternité, il y aurait une multitude infinie qui surpasserait une autre multitude infinie ; il y aurait eu, en effet, un plus grand nombre de doigts que d’hommes et un plus grand nombre de révolutions de la Lune que de révolutions du Soleil. »

Je nie, répond Holkot, que l’infini ne puisse sans contradiction être surpassé… Quant à la proposition formulée en la preuve, qu’il y aurait eu un plus grand nombre de doigts que d’hommes et un plus grand nombre de révolutions de la Lune que de révolutions du Soleil, on peut y répondre en la niant. En mille hommes, il y a un plus grand nombre (plures) de doigts que d’hommes ; mais en une infinité d’hommes, il n’y a pas un plus grand nombre (plures) de doigts que d’hommes, car il y a une infinité d’hommes et une infinité de doigts. »

« D’autres, poursuit notre auteur, s’expriment autrement ; ils disent qu’une multitude infinie peut être plus grande qu’une autre ; ils accordent qu’il y a un plus grand nombre de révolutions de la Lune que du Soleil ; » qu’une multitude infinie peut être double, triple d’une autre ; « qu’on peut ajouter quelque chose à un infini. C’est l’opinion qu’exprime Robert de Lincoln en son écrit sur le livre des Physiques. »

Cette dernière indication nous paraît complètement erronée ; en sa Summæ si concise, mais si pleine d’idées, Robert Grosse-Teste ne dit rien, au sujet de l’infini, qui ne soit très purement aristoté-