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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

nité ? est, pour Holkot, l’occasion de développer ses vues sur l’infiniment grand. Le Docteur dominicain tient pour la possibilité de la création ab æterno ; reproduisons quelques-unes des objections auxquelles il s’attaque et les réponses par lesquelles il prétend les renverser.

Voici la première objection : « Il répugne à l’infini de pouvoir être franchi ; or si le Monde avait existé de toute éternité, une multitude infinie aurait pu être franchie ; en effet, une multitude infinie d’hommes seraient déjà morts ; chacun d’eux aurait été un homme futur ; la multitude elle-même eût donc été future tandis que, maintenant, elle est passée ; une multitude infinie aurait donc été franchie. »

Avec une netteté digne d’Ockam dont il avait été, dit-on, le disciple, Holkot met à nu les confusions auxquelles, en un tel raisonnement, prête le mot : franchi. À chaque instant de la durée, le nombre des hommes déjà morts serait infini, tandis que le nombre des hommes morts entre cet instant et l’instant actuel serait fini. Si donc on entend désigner par le mot : franchir une opération qui a un commencement et une fin, on ne peut dire que cette proposition : Le Monde a existé de toute éternité, entraîne cette autre : Une multitude infinie a pu être franchie.

Mais, ajoute notre auteur, « on dit : Il répugne à l’infini de pouvoir être franchi… Je dis, au contraire, qu’il n’y a aucun inconvénient à accorder cette proposition : » Une multitude infinie peut être franchie. « Toutes les fois, en effet, qu’un temps quelconque s’est écoulé, une multitude infinie a été franchie ; de même, lorsqu’une grandeur, si petite soit-elle, est franchie, il faut bien accorder qu’une multitude infinie a été franchie, car toute grandeur est une multitude infinie. »

Cette réponse, trop concise, s’éclaire lorsqu’on la rapproche de l’enseignement de Grégoire de Rimini ; comme ce maître, et contrairement à l’avis de François de Mayronnes et de Jean de Bassols, Robert Holkot admet évidemment que toute durée limitée, que toute grandeur finie peuvent être considérées comme des multitudes actuellement infinies de parties infiniment petites.

Que telle soit bien la pensée du Docteur dominicain, nous en aurons l’assurance en entendant ce qu’il répond à une seconde objection.

Cette nouvelle objection est la suivante : Si le Monde avait existé de toute éternité, « Dieu aurait pu, chaque jour, créer une âme et la conserver ; il existerait donc maintenant une multi-