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L’INFINIMENT GRAND

genre, si l’on en veut admettre la possibilité, on devra concevoir des rapports analogues à ceux qui, entre quantités finies, s’expriment par les mots : égal, plus grand, plus petit, tout, partie, double, triple, etc. ; mais, d’autre part, il est bien certain qu’on ne pourra pas toujours, au sujet de ces rapports, raisonner comme s’il s’agissait de rapports entre quantités finies.

C’est avec quelque hésitation que nous plaçons ici Robert Holkot auprès de Jean de Baconthorpe et de François de Mayronnes, parmi les précurseurs de Grégoire de Rimini.

Si, comme on le dit, le dominicain Robert Holkot mourut en 1349, il est vraisemblable que ses Questions sur les Sentences furent rédigées avant l’année 1344 qui vit Grégoire de Rimini achever les siennes. Or, ce que Robert Holkot dit de l’infini[1] ressemble parfois étrangement à certains passages écrits par Grégoire de Rimini sur le même sujet ; chez les deux maîtres, il arrive que l’on rencontre des pensées semblables exprimées à l’aide du même langage. La raison chronologique suggère aussitôt cette explication : L’exposé du Dominicain, beaucoup plus court et moins parfait que l’exposé de l’Augustin, a précédé ce dernier exposé et en a été l’inspirateur. Nous ne croyons cependant pas que cette opinion, qui semble si naturellement indiquée, puisse résister à une lecture quelque peu attentive des textes. Comparée à la théorie de Grégoire, la théorie de Robert ne montre pas ce genre d’imperfections que présente, en général, le travail du précurseur lorsqu’on le compare à l’œuvre achevée du dernier inventeur ; ses défauts sont d’un autre genre ; c’est l’obscurité, c’est le désordre, ce sont les pensées incomplètes et indécises qui décèlent un enseignement reçu d’ailleurs et insuffisamment compris ; il semble que Robert Holkot n’ait pris la peine ni de pénétrer exactement le sens des affirmations qu’il fait siennes, ni d’asseoir fermement ses convictions à leur endroit ; bien souvent, la doctrine qu’il professe serait difficile à saisir si l’on ne recourait, pour l’interpréter, à la doctrine si nette et si rigoureuse de Grégoire de Rimini. Il ne nous étonnerait donc pas que les Questions sur les Sentences attribuées à Holkot ne fussent plus récentes qu’on ne croit et que l’influence de l’Augustin de Rimini les eût inspirées.

Quoi qu’il en soit, nous laisserons provisoirement cet ouvrage à la place que lui assigne la chronologie communément reçue.

Cette question : Dieu a-t-il pu produire le Monde de toute éter-

  1. Magistri Robert Holkot Super quatuor libros sententiarum questiones. Lugduni a magistro Johanne Trechsel alemanno MCCCCXCVII. Libro secundi quæst. II : An Deus potuit producere mundum ab æterno.