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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Dieu ; aucun agent naturel ne saurait produire un tel effet[1] : « L’accroissement d’une grandeur progresse ou peut progresser indéfiniment ; il en résulte qu’une grandeur infinie, tant en puissance qu’en acte, peut être donnée par la vertu divine, non par vertu naturelle ; si les forces naturelles interviennent seules, une borne est imposée à la grandeur et à son accroissement. »

L’argument direct que Jean de Bassols fait valoir à l’appui de sa thèse est toujours l’axiome d’Aristote : L’infini potentiel serait irréalisable si l’infini actuel l’était ; or l’infini potentiel ne peut être révoqué comme contradictoire lorsqu’il s’agit de grandeur continue ou de nombre ; toute grandeur continue, tout nombre peut toujours être surpassé par une autre grandeur, par un autre nombre.

Mais à cet argument direct, Bassols adjoint des arguments indirects ; il s’attache à résoudre les contradictions qu’Aristote et les autres philosophes avaient cru découvrir en la supposition d’une grandeur infinie ou d’un nombre infini actuellement existants ; il les résout, d’ailleurs, avec beaucoup de sagacité, mettant à nu le paralogisme qui fait presque toujours le fond de ces sortes d’objections.

Contre la grandeur infinie actuelle, par exemple, une foule d’impossibilités prétendues sont tirées de la figure que l’on attribue au corps par lequel cette grandeur est réalisée ; l’existence nécessaire à une telle figure fournissait à Saint Thomas sa plus forte objection. Mais pourquoi, au corps infini, attribuer une figure ? « Il n’est nullement nécessaire[2], de nécessité absolue, qu’un corps soit terminé et qu’il ait une figure ; aussi un corps infini n’est-il d’aucune figure ; à moins que l’on n’aime mieux dire que sa figure est actuellement intime comme sa grandeur ; mais, dans ce cas, il faut ajouter que la définition de la figure dont se tirent ces impossibilités ne convient qu’aux figures finies. »

Aristote a élevé contre l’infini actuel une objection tirée de l’impossibilité où l’on est de lui attribuer des parties finies ; Jean de Bassols ruine cette objection par une remarque bien simple[3] : « L’infini a des parties [finies] qui n’en sont pas des parties aliquotes ; en prenant un nombre déterminé, quelconque d’ailleurs, de ces parties, il est toujours impossible de reproduire le tout.

Un autre argument, qui est de tous les temps, est le suivant[4] :

  1. Jean de Bassols, loc. cit., fol. CCXII, col. d.
  2. Jean de Bassols, loc. cit., fol. CCXI, col. d.
  3. Jean de Bassols, loc. cit., fol. CCXII, col. c.
  4. Jean de Bassols, loc. cit., fol. CCXIII, col. b.