Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
117
L’INFINIMENT GRAND

plus grande, non pas seulement en puissance et in fieri, mais en acte ; la longueur, en effet, ne s’assigne pas à elle-même telle mesure déterminée. À l’appui de ce raisonnement, on peut invoquer cette assertion d’Aristote, au troisième livre des Physiques : Si une grandeur peut être indéfiniment accrue, elle peut être actuellement infinie. Cette conséquence, énoncée par Aristote, est valable. Mais une grandeur peut être indéfiniment accrue, car étant donnée une créature quelconque ou un individu quelconque d une espèce déterminée, Dieu pourrait produire une seconde créature semblable ou un second individu de même espèce, et l’ajouter à la première créature ou au premier individu. Cette affirmation esl bilibus, car il y enseigne que toute grandeur, pourvu qu’elle soit finie, peut être amenée à toucher une autre grandeur et à la prolonger ; de même, en la suite des nombres, on peut progresser indéfiniment ; de même pour les formes, etc. »

Que l’infini actuel n’implique aucune contradiction, que Dieu puisse lui donner l’existence, c’est ce que Jean de Bassols va soutenir ; mais auparavant, il pose une distinction[1] :

« L’infini actuel peut être entendu de deux façons :

» On peut, en premier lieu, entendre par ces mots l’infini absolu (simpliciter), qui est infini selon toute manière d’être et selon toute perfection.

» On peut les entendre d’un infini qui ne l’est pas selon toute manière d’être et selon toute perfection, mais seulement selon une certaine manière d’être ou selon une perfection d une nature spéciale… par exemple de l’infini en longueur ou en quelque attribut analogue.

» Dieu ne peut créer l’infini actuel au premier sens des mots, car il ne saurait exister un autre Dieu » et cet infini-là serait Dieu.

Mais il n’en est pas de même de l’infini pris au second sens du mot ; parmi les diverses sortes d’infini qu’implique ce second sens, il en est quatre[2] dont l’existence actuelle n’implique aucune contradiction et peut, par conséquent, être réalisée par Dieu ; ce sont : L’infini en grandeur géométrique (volume, surface, longueur) ; l’infini en nombre ; l’infini en intensité ou grandeur de quelque perfection ou forme non géométrique, de la chaleur par exemple ; enfin l’infini en force (virtus).

Le pouvoir de réaliser un infini actuel est réservé, d’ailleurs, à

  1. Jean de Bassols, loc. cit., fol. CCX, col. d.
  2. Jean de Bassols, loc. cit., fol. CCXI, col. b.