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L’INFINIMENT GRAND

quelque partie de telle manière que cet infini soit un tout à l’égard de cette partie, en ce sens, je dis qu’il n’y a rien en ce continu, qui en soit une partie. Si l’on veut parler, au contraire, d’une partie non de cet infini, mais d’un certain volume [fini] compris dans cet infini, en ce sens, je dis qu’il y a, en cet infini, une multitude de choses auxquelles convient le rôle de partie, et aussi une multitude de choses qui sont des touts. »

Ce n’est pas à la grandeur continue prise en général, mais seulement à la grandeur continue finie, qu’il convient d’avoir figure, lieu et mouvement ; il n’y a donc pas à se soucier d’objections telles que celles-ci : Le corps infini ne saurait être ni figuré ni logé ni mobile.

De même qu’il n’y a pas, au gré de François, diverses espèces de multitudes infinies, de même n’y a-t-il pas diverses espèces de volumes infinis ; il ne le dit pas mais, sans doute, il l’admet ; des volumes infinis ne peuvent, dès lors, être plus grands ni plus petits les uns que les autres. C’est ce principe qui explique ce qui suit : « Après avoir créé une quantité d’eau infinie, Dieu peut-il créer une autre quantité d’eau ?… Je dis qu’en outre de toute cette eau, Dieu peut créer une autre quantité d’eau, comme on l’a dit de la multitude infinie. Mais après avoir créé une quantité d’eau infinie, peut-il créer une autre quantité d’eau infinie ? Je réponds que oui ; car il pourrait créer une autre quantité d’eau finie[1], puis une quantité plus grande, et ainsi de suite à l’infini, comme il a été démontré au sujet de la première eau infinie. Dieu ayant ainsi créé une multitude de volumes infinis,… y a-t-il un terme au delà duquel il n’en puisse plus ajouter d’autres ? — Je dis que non ; car il eût, pour la même raison, rencontré un terme dans la production de la grandeur une seule fois infinie ; en effet, la grandeur une infinité de fois infinie n’excède pas la grandeur une seule fois infinie. »

À cette doctrine qui affirme la possibilité de l’infini actuel, aussi bien pour les grandeurs continues que pour les collections d’objets distincts, François de Mayronnes prévoit cette objection : « Mais comment donc l’infini est-il une chose dont la grandeur laisse toujours, hors d’elle, quelque chose à prendre ? » Il répond : « C’est une définition qui est relative à notre intelligence ; lorsque celle-ci a pris une multitude, si grande soit-elle, il lui reste toujours quelque chose à prendre en sus ; en effet, elle ne prend jamais qu’une multitude finie, et non pas une multitude infinie. » C’est encore

  1. Au lieu de : finitam, le texte dit : infinitam.