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L’INFINIMENT GRAND

Dieu, il en peut créer d’encore plus grandes[1] ce qui ne serait pas possible s’il pouvait seulement créer une grandeur finie. »

C’est encore le même argument que l’auteur développe sous cette autre forme :

« Une grandeur qui surpasse toute grandeur finie est infinie ; mais la grandeur ultime que Dieu puisse créer d’un seul coup surpasse toute grandeur finie ; elle est donc infinie. Preuve de la mineure : Après toute grandeur finie que Dieu crée, il en peut créer une plus grande ; celle qui les surpasse toutes est donc infinie. »

Ce raisonnement est repris ensuite sous forme de dilemme : « Cette grandeur ultime que Dieu peut produire est finie ou infinie ; si elle est infinie, la proposition est démontrée ; qu’elle soit finie, cela est impossible, car le terme [du progrès à l’infini des grandeurs créables] se trouverait tout aussi bien à un autre degré de grandeur, puisque ces degrés sont de même nature’

La pensée qui mène toute cette argumentation est facile à deviner et à mettre en évidence ; c’est la pensée très naïvement grossière de maint écolier qui commence à raisonner sur l’infini ; en une suite de grandeurs finies qui croissent indéfiniment, François de Mayronnes voit une tendance vers une certaine limite ; cette limite est ce qu’il nomme la grandeur ultime que Dieu peut créer, « illa magnitudo quam Deus ultimate simul potest facere » ; nécessairement, c’est une grandeur infinie catégorique. Ockam eût tout simplement répondu à François de Mayronnes que parmi les grandeurs que Dieu peut créer, il n’y a pas de grandeur ultime ; il eût montré, par là, tout ce qu’il y a de maladresse en ce nouveau raisonnement destiné à restaurer l’axiome péripatéticien. La possibilité de la grandeur infinie potentielle implique la possibilité de la grandeur infinie actuelle.

François de Mayronnes a été mieux inspiré lorsqu’il a voulu montrer l’inanité des raisons par lesquelles on cherchait à convaincre de contradiction la multitude infime actuelle ou la grandeur infinie actuelle : il est vrai qu’il tirait alors son inspiration des remarques formulées par Duns Scot.

« Une multitude de choses créables est un nombre si elle est finie ; mais elle ne l’est plus si elle est infinie ; ainsi une telle multitude n’est pas un nombre ; elle n’appartient pas au genre de la quantité discontinue, si ce n’est pas réduction. » Cette dernière expression veut dire que l’on peut définir, sous le nom de

  1. Au lieu de : majora, le texte porte :minora.