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L’INFINIMENT GRAND

continuelle depuis l’éternité et conservées en existence jusqu’à ce jour. Admettons, en outre, que le Monde ne soit pas tellement borné par des différences de lieu qu’il n’existât pas un certain vide hors de ce Monde. Un certain nombre de pierres pourraient alors être créées hors de ce Monde. Une fois ce premier espace vide rempli de pierres, s’il existait, hors de cet espace, un autre espace vide, de nouvelles pierres pourraient être créées hors du premier espace vide qui a été rempli ; et ainsi de suite à l’infini.

» Or la Théologie fait une supposition semblable à celle-là ; partant, en sus de la multitude infinie de ces pierres qui ont été conservées indéfiniment d’autres pierres pourront être créées. Preuve de la mineure : Admettons que ce Monde-ci soit déjà plein de pierres ; sans doute, hors de ce Monde, il n y a pas de vide ; mais il est vrai de dire qu’hors de ce Monde, il y a le néant et la négation d’être ; de même, alors que Dieu existait seul, hors de Dieu, il n’y avait pas le vide, mais il est vrai de dire qu’il y avait, hors de Dieu, le néant, qu’il y avait, hors de Dieu, une négation de tout être ; mais c’est pour cela qu’il fut possible à Dieu, dès le commencement, de créer le Monde ; c’est parce qu’il n’y avait hors de lui que néant et négation d’être ; puis donc qu’hors de ce Monde-ci, si nous le supposons rempli par les pierres qui ont été conservées et qui forment une multitude infinie du côté du passé, il y aura encore néant et négation d’être, en dehors de ce Monde rempli de pierres, Dieu pourra encore créer d’autres pierres, et ainsi de suite à l’infini. »

De la doctrine de Jean de Baconthorpe, nous venons de lire les propositions essentielles ; cette doctrine, il s’agit maintenant de la défendre contre les objections qui, de temps immémorial, ont été opposées à la possibilité de l’éternité du Monde ou de l’infini catégorique ; or en cette défense, il faut bien le reconnaître, notre carme se montre bien piètre logicien.

Donnons-en un exemple.

Si le Monde avait existé de toute éternité, disaient les Motékallemîn et, après eux, tous les adversaires de cette supposition, le nombre des révolutions maintenant accomplies par le Soleil serait infini ; le nombre des révolutions accomplies par la Lune serait également infini ; ce dernier nombre, d’ailleurs, serait plus grand que le premier ; il pourrait donc y avoir deux nombres infinis dont l’un serait plus grand que l’autre.

À cette objection classique, qu’est-ce que notre auteur trouve à répondre ? Que les révolutions du Soleil « ne seraient pas infi-