Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105
L’INFINIMENT GRAND

Le pouvoir accordé à Dieu de produire l’infini en puissance a-t-il pour conséquence le pouvoir de produire une grandeur actuellement infinie ? Aristote et Averroès soutiendraient que cette conclusion est logiquement déduite ; doit-on le leur concéder ?

« Il est faux, répond Ockam, que, dans les choses permanentes, il soit possible de réaliser, par une operation unique, une grandeur telle qu’il n’en soit pas de plus petite ou telle qu’il n’en soit pas de plus grande. Il y a plus, et voici ce que j’énonce comme vérité : Dans les choses permanentes divisibles à l’infini comme sont tous les continus,… on ne peut assigner de minimum, car si petite que soit la partie donnée, la puissance divine en pourrait réaliser une qui soit plus petite ; et, de même, on ne saurait assigner un maximum car, quelque grande que soit une quantité donnée, la puissance divine en peut produire une plus grande.

» Dira-t-on que, quelque grande que soit une quantité, elle peut être produite par une opération unique ? Je l’accorde. De même, si l’on donne un état de division quelconque d’un continu, on peut le réduire en acte par une seule opération.

» Dira-t-on que cette possibilité n’est pas seulement une possibilité d’existence in fieri mais une possibilité d’existence in facto esse ? Si par possibilité d’existence in facto esse on entend la possibilité d’être réduit simplement à l’acte, de telle sorte qu’il ne reste plus aucune puissance ultérieure, je dis qu’il ne s’agit pas ici d’une telle possibilité d’existence in facto esse.

» On ne parvient donc jamais par là à un infini ni à une grandeur qui soit, en acte, tout ce qu’elle est en puissance ; jamais, en effet cette puissance ne peut être épuisée de telle sorte qu’il ne reste plus aucune possibilité d’une création nouvelle. Par là, je réponds au Commentateur. »

Ockam affirme la possibilité de la grandeur infinie in fieri ; il nie la possibilité de la grandeur infinie ou de la multitude infinie in facto esse[1] ; sa doctrine est exactement celle de Richard de Middleton.

Nier que des choses permanentes puissent former une multitude actuellement infinie, c’est se heurter à une grave difficulté, à celle qui a déjà préoccupé Avicenne et Al Gazâli.

Ockam n’admet pas qu’en cette proposition : Le Monde a existé

  1. Les jésuites de l’Université de Coïmbre, se référant aux textes mêmes que nous étudions ici, mettent Ockam au nombre de ceux qui ont soutenu cette proposition : Potest infinitum actu divinæ virtutis produci. C’est évidemment mal comprendre la doctrine du Venerabilis Inceptor. (Commentarii Colegii Coninbricensis, Societatis Jesu, in octo libros Physicorum Aristotelis ; lib. III, cap. VIII, quæst. II).