Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
103
L’INFINIMENT GRAND

la philosophie péripatéticienne, du terme : puissance. Si ce terme signifie, en général, possibilité, capacité d’être mis en acte, il n’a plus du tout ce sens dans l’expression : infini en puissance. Que l’on suive les prescriptions des Summulæ de Pierre l’Espagnol qu’à cette expression malencontreuse, on substitue celle d’infini syncatégorique, qui exclut tout mot à double entente ; on verra l’argumentation de Pierre Auriol s’évanouir en fumée.

Malheureusement, les dénominations que les Summulæ avaient proposé d’introduire en ces discussions sur l’infini ont tardé fort longtemps à être reçues par les maîtres de la Scolastique ; ce retard a permis bien des discussions pleines d’équivoques qu’un langage défini avec précision eût rendues impossibles. L’emploi d’une langue technique, même barbare, est souvent le meilleur moyen d’éviter d’interminables querelles qui sont de simples malentendus.

En la lignée des grands scolastiques, Pierre Auriol est, croyons-nous, le dernier qui ait rejeté la possibilité de la grandeur infinie en puissance ou, selon l’usage des Summulæ, de la grandeur infinie syncatégorique. À Auriol, en effet, succède immédiatement Guillaume d’Ockam.

Avant d’examiner si une augmentation peut procéder à l’infini, Ockam pose quelques distinctions[1].

« Il y a deux sortes d’accroissement, l’accroissement par extension et l’accroissement en intensité.

» L’accroissement par extension est, lui-même, de deux sortes :

» L’accroissement de la première sorte se fait par addition d’une partie à une autre partie ; la seconde partie fait, avec la première, une chose qui est une par elle-même, mais elle demeure par son lieu et sa situation, distincte de la première partie ; ainsi en est-il quand on ajoute de l’eau à de l’eau ou bien encore lorsque, pour teindre en blanc un corps total, on en teint une partie, puis une autre partie.

» La seconde sorte est celle de l’accroissement extensif par dilatation ; il a lieu lorsque quelque substance ou qualité se raréfie… Il n y a pas ici addition d’une quantité à une autre quantité comme il y a, dans les cas précédents, addition d’une partie à une autre partie.

» D’autre part, il y a l’accroissement en intensité, qui se fait par addition d’une partie à une autre partie ; la seconde partie fait,

  1. Guilhelmi de Ockam Super quatuor libros sententiarum annotationes, Lib. I, quæst. VII : Præterea quæro, de terminis augmenli charitatis, utrum sit dare summam cui repugnet augmentari.